(Québec) On peut épiloguer longtemps sur les lacunes des hauts fonctionnaires, spéculer sur le manque d’information chronique des ministres lors de leur réunion hebdomadaire du mercredi. Mais cette fois, il apparaît clairement qu’il y a un seul coupable pour la bourde qui a entaché la fin d’année du gouvernement Legault : le ministre de l’Immigration Simon Jolin-Barrette.

Retour du balancier surprenant pour les deux jeunes vedettes du gouvernement caquiste. Il y a un an, ce sont Jolin-Barrette et Geneviève Guilbault qui avaient été envoyés au bâton pour annoncer les orientations d’une équipe fraîchement élue. Incarnation d’une relève de la garde politique, démonstration d’inexpérience aussi.

Depuis, la ministre de la Sécurité publique a eu plus que sa part de problèmes avec la Sûreté du Québec (SQ) et l’Unité permanente anticorruption (UPAC). Les propriétaires inondés du printemps dernier ne cachent pas leur déception. Mme Guilbault a aussi eu des frictions avec ses employés de cabinet.

Simon Jolin-Barrette, lui, avait eu une première prise avec sa décision, renversée par la cour, de mettre au rancart 18 000 dossiers de candidats à l’immigration. On peut être déterminé, cela ne vous permet pas d’être téméraire.

C’est passé sous le radar, mais le règlement si controversé du ministre de l’Immigration a une particularité étonnante : il n’a pas été prépublié avant d’entrer en vigueur. Que l’on puisse sauter cette étape, un passage obligé pour 99 % des règlements adoptés par le Conseil des ministres, surprenait bien des mandarins consultés par La Presse hier.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« En coulisses, ceux qui ont suivi ce dossier à l’intérieur chuchotent que “l’empressement” du ministre a été la cause du dérapage » de la semaine dernière à propos de l’immigration, écrit notre analyste Denis Lessard. 

En vertu de l’article 8 de la Loi sur les règlements, ces textes doivent être prépubliés à la Gazette officielle, pour une période de 45 jours qui sert précisément à recevoir les opinions des groupes concernés. En cas d’urgence, la période peut être écourtée à 30 jours.

Mais la Loi sur l’immigration permet que les règlements qui touchent les programmes d’immigration permanente puissent sauter cette étape. Cela se trouvait dans l’ancienne loi et a été reconduit lors d’une refonte sous la responsabilité de la libérale Kathleen Weil, en 2016.

Aussi à leur réunion du 9 octobre, les ministres ont, sans qu’une alarme sonne, cautionné le décret qui prévoit « qu’il y a lieu d’édicter le règlement […] sans publication ». On peut se demander pourquoi un gouvernement est tenu de publier à l’avance un règlement sur le transport, l’environnement, voire le tourisme, mais pas sur l’immigration.

En coulisses, ceux qui ont suivi ce dossier à l’intérieur chuchotent que « l’empressement » du ministre a été la cause du dérapage. On laisse entendre que le jeune Jolin-Barrette travaille en catimini et ne partage pas autant qu’il le devrait ses intentions.

Quand les textes sont soumis à l’ensemble du Conseil des ministres, l’heure n’est plus aux arguties légales, on y discute surtout de la communication de ces décisions auprès de l’électorat. Mais quelqu’un, à cette étape, aurait pu lever le doigt et demander si le gouvernement ne devrait pas se donner un moment de réflexion sur cette question, à l’évidence délicate.

Cela aurait pu se faire aussi en amont, au comité ministériel qui traite des questions économiques – à moins que l’on ait aussi télescopé ce qui est normalement un passage obligé.

La décision de vendredi, annoncée par un communiqué laconique passé 18 h, était la conclusion de deux jours de bras de fer entre l’entourage de François Legault et Simon Jolin-Barrette. Réunis à Montréal, jeudi, les conseillers du premier ministre avaient entrepris une réflexion sur la stratégie à adopter.

Le jeune ministre ne voulait rien entendre d’une mise au rancart de son règlement qui allait, c’est évident, être interprétée comme un désaveu du ministre, une sanction très lourde en politique.

On n’était pas arrivé à une conclusion jeudi. Mais le lendemain, le cabinet du premier ministre a tranché : on retirerait le règlement, on a discuté de la formulation du communiqué, et même du moment de sa diffusion avec le ministre humilié.

Le faux pas du gouvernement est cette fois bien plus dommageable. En défendant bec et ongles dans un premier temps le règlement de son jeune poulain, François Legault a cautionné un défaut qu’on lui a depuis longtemps attribué : le premier ministre peut être brouillon.

Legault paraît faire vite table rase de ce qui lui apparaît comme des détails. C’est le même politicien qui s’était embrouillé dans les conditions pour être un immigrant reçu, et son approximation avait fait vaciller la campagne électorale de la CAQ. Pire encore, M. Legault a profondément heurté la communauté d’affaires en soutenant que comme Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, les entrepreneurs voulaient avant tout du « cheap labour » pour réduire leurs coûts.

Les recteurs d’université n’étaient pas en reste, aux yeux de M. Legault. Ceux-ci voulaient à tout prix accroître les cohortes d’étudiants étrangers, source de revenus.

Une chose apparaît claire : la machine n’est pas en cause. Après près de 30 ans de carrière, essentiellement à l’Emploi, le sous-ministre de l’Immigration Bernard Matte est un habitué des « ministères à clientèles ». Cet économiste avait pris son envol au début du ministère de l’Emploi comme directeur général de l’information sur le marché du travail. Il était la cheville ouvrière du placement en ligne d’Emploi Québec.

Des bruits qui émanent de la haute direction du ministère donnent à penser que le ministre Jolin-Barrette avait été informé de toutes les conséquences possibles de son règlement.

On l’avait aussi prévenu dès le début, semble-t-il, qu’une clause de « droits acquis » serait souhaitable. Il a dû l’ajouter, en catastrophe, mais cela n’est pas parvenu à stopper un mouvement de protestation déjà lancé.

Au pouvoir depuis un an seulement, le gouvernement Legault paraît souvent vouloir faire l’économie d’une réflexion, transgresse allègrement des traditions, oublie de faire des distinctions pourtant élémentaires. Des délégués du Québec qui transmettent des messages partisans, des députés qui se rendent à un cocktail de financement plutôt que de venir voter à l’Assemblée nationale, la liste des égarements est longue.

Le dernier en lice : dimanche, la ministre de la Santé, Danielle McCann, annonçait la décision de réduire les tarifs de stationnement des hôpitaux. L’annonce a été faite au CHUL, en plein cœur de la circonscription de Jean-Talon, où se déroule actuellement la campagne électorale pour la partielle du 2 décembre. Comme s’il n’était pas suffisant de récupérer une annonce gouvernementale à des fins partisanes, on s’est assuré que le message allait être compris des électeurs : la candidate caquiste Joëlle Boutin était invitée à l’annonce.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE LA CANDIDATE CAQUISTE JOËLLE BOUTIN

De gauche à droite sur la photo : Jean-François Simard, député de Montmorency, Danielle McCann, ministre de la Santé, Sylvain Lévesque, député de Chauveau, Joëlle Boutin, candidate caquiste dans Jean-Talon, Mario Asselin, député de Vanier, Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique