Ils se sont rencontrés dans une école secondaire de Montréal-Nord, alors que l'un y étudiait et que l'autre y enseignait le basketball. Aujourd'hui, ils mettent sur pied un organisme pour transmettre des savoirs sportifs, mais aussi des leçons de vie, à des jeunes qui, comme eux, ont connu des dérives à l'adolescence. Yasser Mohammad et Wilmann Édouard sont nos personnalités de la semaine.

Il y a un film à faire sur l'amitié entre ces deux hommes. Yasser et Wilmann. Le titre est tout trouvé.

Le récit serait riche, touchant, inspirant. Car il y a beaucoup à apprendre et à tirer de la vie de nos deux personnalités de la semaine et de leurs réalisations pour aider les jeunes défavorisés, alors qu'eux-mêmes ne sont pas exactement arrivés sur Terre en jet privé.

Yasser, Yasser Mohammad, porte les cheveux très courts, et lorsque je le rencontre dans le hall du YMCA de l'avenue du Parc, où nous sommes venus trouver un gymnase pour les photos, je ne peux m'empêcher de poser la question : « Toutes ces cicatrices sur votre cuir chevelu, ça vient d'où ? » « Ça vient de ce que j'ai été un enfant pendant la guerre en Irak », répond-il. Aucune bombe ne lui est tombée sur la tête. Juste tout ce qui fait mal quand on est tout petit et qu'on se cache dans des trous creusés à même le sol pour se protéger de la violence extérieure.

Yasser est arrivé au Québec avec sa mère, secrétaire médicale, et sa soeur, à l'âge de 11 ans. Réfugiés politiques. D'abord Laval puis Montréal-Nord. Un atterrissage difficile.

C'est à la polyvalente Henri-Bourassa, sur le boulevard Maurice-Duplessis, qu'il a rencontré Wilmann Édouard, un ami qui a l'air de son frère, aujourd'hui, mais de quelque dix ans son aîné. Quand ils se sont connus, Wilmann a plutôt été un père, un gars qui l'a aidé à garder le cap, malgré bien des intempéries, à travers les années, avec, comme lien, le basket, le sport.

Wilmann Édouard, arrivé d'Haïti à l'âge de 3 ou 4 ans, il ne s'en souvient plus, a aussi grandi à Montréal-Nord, dans une famille de quatre enfants où son père travaillait la nuit et sa mère le jour. L'un tricotait, l'autre cousait. Mais il y avait toujours quelqu'un à la maison. Lui aussi adore le sport et ce que le sport peut faire pour fédérer, motiver, encadrer les jeunes et les mener plus loin.

Quand Wilmann a vu pour la première fois Yasser dans cette polyvalente où les élèves ne faisaient pas partie de ceux dont la vie, à Montréal, était la plus facile, il a été « frappé par la maturité de ce garçon, au sujet du sport, mais aussi de la vie en général ».

Wilmann, qui a une formation en génie électronique et a longtemps travaillé dans ce secteur, est aussi, depuis toujours, entraîneur de basket dans cette polyvalente et à Montréal-Nord. Il a ainsi suivi le jeune Yasser pendant quelques années. Plus tard, Wilmann a laissé de côté l'électronique pour travailler uniquement dans le communautaire et gagner sa vie ainsi.

Yasser, lui, a fini par quitter la polyvalente, s'inscrire au cégep Dawson avec une bourse de sport, lâcher le cégep, partir en Allemagne pour jouer au basket chez les pros et revenir au bout d'une saison, les mains vides. Pas de diplôme. Pas de but. « Je ne voulais pas rester là-bas, je n'avais pas envie d'immigrer une deuxième fois. » Il a fini par obtenir un diplôme professionnel en électricité, mais trouver du travail demeurait difficile. Trouver un sens demeurait encore plus difficile. Sa vie n'allait pas super bien.

Mais le basket l'a ramené à quelque chose qu'il aimait. Le sport et les jeunes. Il travaille de nuit pour des centrales d'alarme. Le reste du temps, il est coach, il aide les jeunes à jouer à ce sport d'équipe et il leur transmet non seulement un savoir sportif, mais aussi des leçons de vie. Comment s'en sortir quand on pense qu'il ne nous reste rien, que le monde ne veut pas de nous. Un projet prend aussi forme, un organisme, Mo Sports, « pour aider ceux qui sont rendus au bout du tunnel, ceux dont c'est presque la dernière chance ». Yasser aidera les jeunes en les coachant en basket, mais aussi en les aidant avec tout le reste, notamment à trouver du travail. La semaine prochaine, Yasser retourne sur les bancs d'école pour étudier en intervention auprès des jeunes à la faculté d'éducation de l'Université de Montréal.

Alors qu'il met ce projet sur pied, Wilmann, qui est devenu père de famille entre-temps - il a quatre enfants en bas âge -, revient dans sa vie. Parce que Wilmann, rendu là, travaille à temps plein dans ce secteur, où il se sent plus utile que dans ses anciens emplois, que ce soit à la Banque Nationale ou chez Mercer. Avec sa Coopérative Multisports Plus, il aide les jeunes avec le sport, mais il part du sport pour les amener à apprendre la vie, à apprendre à être des citoyens, des amis, des pères, des gens engagés dans leur communauté, qui en apprécient la culture notamment (il travaille entre autres avec les bibliothèques de la Ville de Montréal).

Et Yasser veut la même chose : aider les jeunes qui, comme lui, ne connaissent que le sport et la dérive, à se trouver du travail, d'autres passions, des compétences.

Aujourd'hui, ensemble, ce sont des coachs de basket qui peuvent aussi bien conduire des jeunes aux Jeux du Québec que les aider à apprécier la danse ou les bienfaits de l'entraide. Des coachs de vie. Deux gars qui oeuvrent main dans la main, notamment avec les jeunes de la polyvalente Henri-Bourrassa, là où ils se sont connus il y a une vingtaine d'années, là où tout a commencé.

Yasser Mohammad et Wilmann Édouard en quelques choix

UN FILM

« Malcom X », répond Yasser. « J'aime son principe d'égalité. On est tous pareils. » Wilmann Édouard : Tous les films d'Indiana Jones.

UN LIVRE

« La série de romans fantastiques The Wheel of Time de Robert Jordan », répond Wilmann. « Moi, le Da Vinci Code, dit Yasser. J'aime les livres qui parlent de controverses. »

UN PERSONNAGE HISTORIQUE

Wilmann : « Toussaint Louverture. Il a libéré Haïti de l'esclavage et est considéré comme le " père de la première république noire du monde ". »

UN PERSONNAGE CONTEMPORAIN

Yasser : « Moi, c'est Muhammad Ali. » « Nelson Mandela », lance Wilmann sans hésiter. « Je mets ses principes en application, notamment l'écoute. »

UNE PHRASE

« Discipline + effort = succès »

UNE CAUSE QUI VOUS FERAIT MANIFESTER DANS LA RUE

« L'égalité des chances pour les jeunes. Sur la pancarte, il serait écrit : " Désir, découverte, dévouement, détermination ". »