(Vancouver) Justin Trudeau a qualifié d’« épouvantables » et d’« absolument inacceptables » les allégations de culture de travail toxique au sein du service canadien d’espionnage, notamment des cas d’agressions sexuelles et de harcèlement.

Le premier ministre était invité jeudi à commenter l’enquête de La Presse Canadienne qui révèle que quatre agentes du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ont exprimé leurs inquiétudes concernant la culture toxique qui régnerait au sein du bureau de l’agence en Colombie-Britannique.

Une agente du SCRS affirme avoir été violée neuf fois, en sept mois, par un de ses supérieurs beaucoup plus âgé dans des véhicules de surveillance, entre juillet 2019 et février 2020. Une autre agente affirme avoir été agressée sexuellement par le même homme l’année suivante, en 2021.

Or, les deux femmes soutiennent qu’elles avaient prévenu leurs supérieurs hiérarchiques que cet homme devait être tenu à l’écart de jeunes agentes du SCRS. Les agentes soutiennent par ailleurs que le mécanisme interne des plaintes au SCRS ne les a pas aidées.

M. Trudeau, de passage jeudi à Ajax, en Ontario, a qualifié ces allégations de « très, très préoccupantes ».

« Ces allégations sont absolument inacceptables, a-t-il dit. Nous devons nous assurer que toutes les personnes dans tous les milieux de travail, quel que soit le degré de sensibilité ou de secret de leurs tâches, sont protégées, en particulier les personnes qui servent leur pays. »

La Presse Canadienne n’identifie pas les femmes qui se sont manifestées parce qu’elles craignent des répercussions juridiques et professionnelles, ou des représailles de la part du SCRS, si elles révèlent leur identité.

Ces femmes affirment que leurs superviseurs leur ont dit que d’autres femmes s’étaient plaintes de ne pas se sentir en sécurité en présence de l’homme au centre des allégations.

« Rien n’a été fait et j’ai commencé à entendre des récits selon lesquels il y avait cette histoire de toutes ces femmes qui ont travaillé dans notre région […] Elles avaient toutes la même chose à dire et elles ont toutes fini par partir », a déclaré un membre du SRCS.

M. Trudeau a assuré que son gouvernement prenait ces allégations « incroyablement au sérieux » depuis le début. « Et je peux vous assurer que le ministre et l’ensemble de notre gouvernement suivent de très près ces questions. »

Pas syndiquées

Les femmes qui disent avoir été agressées affirment qu’elles n’ont pas porté plainte à la police en partie parce qu’elles se sentaient contraintes par la Loi sur le SCRS, qui interdit l’identification des agents secrets. Les contrevenants sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.

La plupart des employés du SCRS, notamment les agents secrets, ne sont pas syndiqués.

Le porte-parole du SCRS, Eric Balsam, a indiqué dans un courriel que le service « prenait très au sérieux toute allégation de comportement inapproprié, y compris le harcèlement ». Il a toutefois ajouté qu’il serait « inapproprié » de commenter des questions juridiques spécifiques.

Les deux agentes du SCRS qui affirment avoir été agressées sexuellement par leur collègue ont intenté chacune de leur côté en Colombie-Britannique une poursuite contre le gouvernement fédéral.

La cause de la première femme qui affirme avoir été violée a été rejetée par le tribunal, qui a statué qu’elle n’avait pas épuisé le mécanisme interne de plaintes au SCRS. La policière, identifiée dans sa poursuite sous le pseudonyme de « Jane Doe », a déclaré qu’elle envisageait de faire appel.

La poursuite intentée par l’autre femme n’a pas encore reçu de réponse.

Les agentes ont déclaré que le mécanisme de plaintes au SCRS n’avait été d’aucun soutien pour elles.

Huda Mukbil est une ancienne agente du SCRS qui faisait partie d’un groupe d’agentes de Toronto qui ont conclu un règlement avec le gouvernement en 2017 après avoir intenté une poursuite de 35 millions pour des allégations de racisme, de sexisme et de harcèlement.

Elle a déclaré à La Presse Canadienne que le processus interne de règlement des griefs au SCRS était « totalement inefficace ».

Des vies gaspillées

S’exprimant avant les commentaires de M. Trudeau, « Jane Doe » a déclaré qu’elle avait dénoncé publiquement parce qu’elle souhaitait que le SCRS soit tenu responsable.

Mais elle a déclaré qu’elle et ses collègues avaient peu d’espoir que l’agence puisse être réformée.

Le règlement de la poursuite à Toronto a incité le directeur du SCRS, David Vigneault, à s’engager formellement à diriger une organisation où chaque employé « promeut un milieu de travail exempt de harcèlement ».

Un collègue et ami de « Jane Doe », qui soutient ses affirmations selon lesquelles le bureau régional du SCRS en Colombie-Britannique est un lieu de travail toxique, a déclaré que la promesse solennelle de M. Vigneault ne semblait avoir fait que peu de différence.

« Nous n’allons pas changer la façon dont cette organisation traite les gens, a déclaré ce collègue. Ils ont distribué combien de millions de dollars aux personnes impliquées dans l’affaire de Toronto ? […] Et rien n’a changé. »

« Jane Doe » a fait écho à ces commentaires. « Il y a un problème tellement systémique qu’ils devraient se débarrasser de tout le monde et repartir à zéro », selon elle.

L’autre agente du SCRS qui soutient avoir été agressée sexuellement, identifiée comme étant « A. B. » dans sa poursuite, a déclaré qu’il était extrêmement difficile de parler de ce qui lui était arrivé, car elle avait l’impression de « trahir » ses collègues et son pays.

Mais elle a déclaré que le traitement subi au sein du SCRS l’avait poussée à bout. « Ça aurait été une chose de mettre ma sécurité en péril pour une véritable mission qui aurait aidé le pays, mais le fait que ma santé mentale et ma sécurité aient été constamment mises en danger en raison de la négligence de la direction là-bas pour quelque chose d’aussi stupide que quelqu’un qui agresse sexuellement et harcèle les gens… », a déploré « A. B. ».

« Toutes ces vies ont été détruites et toutes ces incroyables agentes ont été détruites simplement parce que quelqu’un ne pouvait pas contrôler ses propres pulsions sexuelles. C’est ce qui me tue dans tout ça. »