(Montréal) La fabrication artisanale des armes à feu est en voie de devenir un véritable fléau, aussi bien au pays que dans la province.

Dans un échange de courriels, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) confirme avoir observé une augmentation graduelle du nombre d’armes à feu fabriquées par les particuliers qui se répercute dans ses perquisitions.

Selon des chiffres avancés par la GRC, en 2018, un total de 46 armes à feu artisanales ont été saisies par un corps policier au pays. En 2022, les autorités en ont récupéré 487, ce qui représente une augmentation de plus de 1000 % en moins de cinq ans.

Malgré cette croissance fulgurante, ces données sont loin de refléter fidèlement la réalité, nuance l’agente de relations avec les médias Marie-Ève Breton.

« Ces statistiques se limitent aux armes à feu fabriquées par des particuliers qui ont été saisies, enregistrées […] et recensées comme étant peut-être des armes fabriquées par des particuliers. Par conséquent, ces chiffres bruts ne doivent pas être considérés comme présentant une image complète de la situation au Canada ni comme une indication de l’ampleur d’un problème potentiel », mentionne Mme Breton.

En juin dernier, 64 perquisitions menées simultanément dans huit provinces ont permis de mettre la main sur 440 armes destinées au trafic, dont des dizaines d’« armes fantômes » qui ne disposent pas d’un numéro de série et dont il n’existe aucune trace de leur origine. Cette opération pancanadienne était le point culminant d’une enquête déclenchée au printemps 2021 par l’Agence des services frontaliers du Canada.

Au Québec aussi, on remarque une tendance à la hausse. « C’est un phénomène de plus en plus émergent, reconnaît le capitaine Martin Robert, responsable du service des enquêtes sur la violence liée aux armes à feu à la Sûreté du Québec. Un grand pourcentage des armes à feu importées illégalement des États-Unis sont réalisées grâce à une imprimante 3D. »

Son collègue directeur des enquêtes criminelles, Benoit Dubé, avait déclaré en juin que le quart des armes saisies par son escouade depuis le début de l’année avaient été fabriquées à l’aide d’un tel appareil.

Plus accessibles, moins coûteux

S’il y a un plus grand nombre d’armes à feu artisanales en circulation, c’est notamment parce qu’il est devenu beaucoup plus facile de se procurer les éléments nécessaires à leur fabrication.

Plusieurs sites canadiens et américains vendent différentes pièces d’armes à feu. Ces pièces sont vendues tout à fait légalement, « car elles servent à l’entretien et à la réparation des armes à feu détenues légalement », précise la caporale Kim Chamberland, du service des relations médias de la GRC.

Les autorités sont toutefois conscientes que ces pièces « sont couramment utilisées dans la fabrication d’armes à feu imprimées en 3D, bien qu’il soit également possible d’utiliser des pièces que l’on peut trouver dans les magasins de quincaillerie », ajoute-t-elle.

L’accessibilité des imprimantes 3D et des plans numériques fait en sorte qu’il est désormais plus facile que jamais de se fabriquer une arme à feu fonctionnelle, et ce, à un coût moindre. Ne reste ensuite qu’à fabriquer le châssis de l’arme.

« C’est beaucoup plus abordable de faire venir les pièces et de fabriquer la carcasse avec une imprimante 3D que l’importation illégale ou l’achat sur le marché noir. Aujourd’hui, les imprimantes 3D sont de très bonne qualité. Elles sont capables, à peu de frais, de fabriquer des pièces. […] C’est la raison pour laquelle ce phénomène-là est de plus en plus présent », souligne le capitaine Robert.

Selon les sites visités par La Presse Canadienne, il est possible de trouver le nécessaire pour une somme allant de quelques centaines de dollars à 1600 $. Une arme non traçable réalisée à partir de ces pièces peut toutefois se vendre jusqu’à quatre ou cinq fois ce prix.

Malheureusement, rien ne réglemente les tutoriels en ligne qui expliquent à qui le désire comment construire l’arme pour qu’elle soit fonctionnelle, déplore M. Robert.

« Il existe de plus une communauté en ligne de plus en plus importante qui échange de l’information sur la fabrication de ces armes à feu », précise Marie-Ève Breton.

Et peu importe leur prix moindre, ces armes artisanales sont aussi dangereuses que celles qui sont le fruit de fabricants autorisés, ajoute M. Robert.

« Nous savons que [ces armes fantômes] sont créées dans un but précis – vous vous doutez bien qu’elles ne sont pas destinées, disons, aux tireurs sportifs, avait déclaré en juin le surintendant en chef de la Police provinciale de l’Ontario, Paul McKay, lors du bilan de la méga-saisie pancanadienne. Il y a intention criminelle et elles sont fabriquées dans un but précis : pour être mises entre les mains d’organisations criminelles. »

De nouveaux outils pour lutter contre la violence armée

En janvier dernier, le Centre québécois de dépistage des armes à feu a entamé ses activités. L’institution a pour objectif d’aider les différents corps policiers de la province à contrer la violence armée en facilitant, entre autres, le partage d’informations sur les perquisitions.

« On veut aller chercher un meilleur portrait de ce qui se passe au Québec pour pouvoir mieux s’attaquer au trafic d’armes à feu », précise le capitaine Robert.

Le projet de loi C-21 du gouvernement fédéral vise à modifier la Loi sur les armes à feu et d’autres textes législatifs pour renforcer la lutte contre la violence armée au pays.

Parmi les modifications proposées au Code criminel, le projet de loi vise à qualifier de dispositif prohibé « toute arme à feu non réglementée conçue de façon à avoir l’apparence exacte d’une arme à feu réglementée ou à la reproduire le plus fidèlement possible » et de rendre les peines imposées aux contrevenants plus sévères.

Le projet de loi criminaliserait également la possession ou la distribution de données informatiques « relatives à des dispositifs interdits et pouvant être utilisées avec une imprimante 3D » à des fins de fabrication ou de trafic d’armes à feu. Le projet prévoit une peine maximale d’emprisonnement de dix ans pour ce délit.