(Montréal) Des scientifiques s’inquiètent des conséquences de la vague de chaleur sans précédent qui frappe actuellement l’océan Atlantique. Tout indique que cet océan connaîtra l’année la plus chaude jamais enregistrée.

Selon le Met Office, qui est le service national britannique de météorologie, « mai 2023 a connu les températures les plus élevées de tous les mois de mai depuis 1850 » dans l’océan Atlantique Nord.

La vague de chaleur dans l’océan Atlantique, qui peut avoir des « impacts significatifs sur la vie marine, sur les communautés côtières et sur l’économie », a de « 90 à 100 % de chances de se poursuivre jusqu’en août et 70 à 80 % de chances de durer jusqu’à la fin de l’année », selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA).

« C’est du jamais vu » et « c’est inquiétant », affirme Philippe Archambault, professeur de biologie à l’Université Laval.

On ignore pour l’instant quelles seront les conséquences à court terme de cette canicule marine sur la flore et la faune de l’océan.

« Tout le monde commence à partir sur le terrain, on était nous-mêmes sur la mer la semaine dernière, donc les équipes commencent à partir en mer », a indiqué le chercheur en biodiversité marine, en ajoutant qu’« on va pouvoir mesurer les conséquences à mesure que l’été avance ».

Certaines espèces ne peuvent survivre lorsqu’il y a une augmentation importante de la température, a souligné le professeur.

Des océans plus chauds et moins d’oxygène

Il y a deux semaines, des dizaines de milliers de poissons morts se sont échoués sur la côte du golfe du Texas, recouvrant le littoral de carcasses en décomposition, à une soixantaine de kilomètres au sud de Houston.

Les faibles niveaux d’oxygène dissous dans l’eau ont rendu difficile la respiration des poissons, selon les responsables du département des parcs et de la faune du Texas, qui ont expliqué que ce phénomène est courant lorsque les températures augmentent rapidement.

Bien que le département des parcs et de la faune du Texas n’ait pas lié cet incident spécifique au changement climatique, plusieurs études soulignent que de tels évènements deviendront plus fréquents à mesure que les températures se réchauffent et que les niveaux d’oxygène dans les lacs et les océans baissent.

Les eaux se réchauffent dans la plupart des océans

Des vagues de chaleur marines touchent actuellement la plupart des océans du monde, selon la NOAA, mais la partie nord-est de l’océan Atlantique, sur les côtes du continent européen, est particulièrement affectée.

Autour du Royaume-Uni, la température de l’eau se trouve de quatre à six degrés au-dessus des normales saisonnières.

Les poussières du Sahara

Les canicules marines sont provoquées par l’augmentation de la température de l’air à la surface des océans, mais il y a d’autres explications.

Plusieurs scientifiques associent notamment le réchauffement actuel de l’océan Atlantique aux ralentissements des vents dans le désert du Sahara.

Au printemps, des tempêtes dans le Sahara ont l’habitude de pousser d’immenses nuages de sables dans l’océan en direction du continent américain.

Les millions de tonnes de poussières atténuent habituellement l’intensité des rayons du soleil sur l’eau.

Mais cette année, les scientifiques ont constaté un ralentissement de ce phénomène météorologique.

« Il y a moins de vents, moins de particules et plus de rayons de soleil qui rentrent dans l’océan et donc l’océan se réchauffe plus vite », a résumé Philippe Archambault, qui fait un lien entre des vents moins importants dans le Sahara à ce moment de l’année et les changements climatiques.

À l’inverse, l’immense nuage de cendres qui provient des incendies de forêt canadiens et qui traverse actuellement l’Atlantique pourrait ralentir l’augmentation de la température de l’océan.

« Ça risque de diminuer l’effet de la radiation », mais « ça ne va pas diminuer la chaleur de l’océan », a indiqué le professeur qui croit que « c’est sûr qu’on va battre le record de chaleur cette année dans l’Atlantique ».

Plus d’ouragans

Ces vagues de chaleur marines sans précédent se traduisent également par une saison des ouragans plus hâtive.

Depuis la tenue des registres sur les tempêtes tropicales en 1851, c’est la première fois que deux tempêtes, Cindy et Bret, se forment dans l’Atlantique tropical aussi tôt dans l’été, selon l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique qui prévoit entre 12 et 17 tempêtes nommées pour la saison des ouragans de cette année.

El Niño va se mettre de la partie

L’Agence spatiale européenne (ESA) souligne sur son site internet que « des scientifiques prévoient que d’autres records de température seront battus dans les mois à venir en raison du réchauffement prévu de l’océan Pacifique associé au développement d’El Niño ».

Une partie de cet excès de chaleur se retrouvera dans l’océan Arctique via des courants océaniques à travers le détroit de Fram et la mer de Norvège, « aggravant encore la disparition de la banquise arctique », selon l’ESA, qui a indiqué suivre en détail et avec un grand intérêt l’évolution de la situation.

Le chercheur Philippe Archambault compare l’eau des océans à une « grande piscine mondiale ».

Si l’eau de cette piscine se réchauffe, l’air se réchauffera également et les glaciers seront affectés.

« On voit déjà des anomalies de températures plus élevées, de quelques degrés, dans le sud de la baie d’Hudson et le nord de la baie James », a indiqué le professeur à l’Université Laval.

L’agence spatiale européenne croit que l’eau des océans pourrait continuer à se réchauffer en 2024.

« Des scientifiques prédisent déjà que 2024 pourrait devenir l’année la plus chaude jamais enregistrée », peut-on lire dans un communiqué de l’agence.

« Je crois que cette année, on voit complètement les effets des changements climatiques et il faut prendre des décisions drastiques » pour diminuer les gaz à effets de serre, a indiqué le chercheur Philippe Archambault en ajoutant que « ça n’a aucun sens que le Canada continue de financer les énergies fossiles ».

« Le scientifique en moi dit qu’il faut arrêter de se cacher la tête dans le sable, mais le citoyen, lui, dirait bien pire que ça », a ajouté avec inquiétude le chercheur.