Depuis le 4 février, le ciel de l’Amérique du Nord retient l’attention à la suite de l’interception et de l’abattage de quatre objets suspects, dont un ballon chinois. Mais est-ce si nouveau ? Et les Américains font-ils la même chose ? Voyons voir.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Quatre objets, quatre histoires

D’abord, notons que les quatre cas recensés sont différents. Le premier ballon abattu au-dessus de la Caroline, et que la Chine a reconnu être sien, se trouvait à plus de 18 000 mètres d’altitude, faisait 61 mètres de hauteur et pesait près d’une tonne, comme on peut le voir dans le graphique ci-joint. Les autres étaient bien moins hauts (6000 et 12 000 mètres) et avaient des formes ou des dimensions différentes, selon les premiers rapports.

Dans les mains du NORAD…

Les quatre objets ont été abattus par des avions américains sous la supervision du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Créé le 1er août 1957, cet organisme canado-américain assure la défense de l’Amérique du Nord contre l’intrusion d’une menace aérienne. Au fil des ans, des avions du NORAD sont allés intercepter des bombardiers soviétiques ou russes frôlant l’espace nord-américain en Arctique. Le 11 septembre 2001 a probablement été la journée la plus occupée de l’organisme. Mais de façon générale, on entend parler du NORAD une fois l’an, le 24 décembre, lorsque ses radars suivent le parcours du père Noël.

… qui a augmenté sa détection radar

Mais à la suite de l’affaire du ballon chinois, le NORAD a accentué son travail de détection. La sensibilité des radars a été augmentée. Avec pour résultat le fait que plus d’objets ont été suivis. Il faut donc analyser les évènements avec prudence, croit Stéphane Roussel, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique (ENAP). « Mieux vaut parler au conditionnel, dit-il. Il semble plausible que ces objets aient un lien, mais il faudra attendre l’analyse des débris pour l’affirmer. »

IMAGE FOURNIE PAR LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

Ce document montrant un évènement avec un ballon le 11 février 2019 a été obtenu grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

Pas les premiers

Preuve que le NORAD n’en est pas à ses premières interceptions, des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information montrent un cas survenu le 11 février 2019 à 7 h, temps Zulu (méridien de Greenwich). Un objet dérivant considéré comme un ballon est vu se déplaçant à partir de l’île Victoria, dans l’Arctique, en direction sud-ouest vers Juneau, en Alaska, et passant au-dessus des Territoires du Nord-Ouest. Le ballon a été suivi au radar. Invité à commenter ce document, l’ancien brigadier-général des Forces armées canadiennes Gaston Côté estime que cet évènement ne paraissait pas alarmant, mais qu’il fallait suivre le ballon, car il se trouvait dans la zone du trafic aérien. La Presse a demandé aux Forces armées canadiennes de commenter ce document. On nous a dirigé vers le NORAD, qui n’a pas répondu.

Autres cas documentés

Mieux encore, le gouvernement canadien tient en ligne (c’est public) le Système de compte rendu quotidien des évènements de l’aviation civile (SCRQEAC), où on retrouve des histoires de ballons et autres objets volants non identifiés. La plus récente entrée, datée du 9 février et portant sur un évènement survenu le 31 janvier 2023, pourrait être reliée au ballon chinois abattu le 4 février. On lit que les pilotes d’un avion d’Air Canada faisant la liaison Vancouver-Winnipeg ont aperçu un grand ballon à 4000 pieds au-dessus de leur appareil.

PHOTO CHAD FISH, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un ballon a été abattu au large des côtes de Myrtle Beach, en Caroline du Sud, le 4 février dernier.

Tester la défense continentale

Le gouvernement chinois teste-t-il le système de défense nord-américain ? « Absolument, répond le brigadier-général Côté. C’est toujours le cas et les Américains font aussi la même chose avec les systèmes de défense russe et chinois. » Stéphane Roussel ajoute que si les analyses des débris concluent à des engins chinois, ces derniers pourraient être en train de mesurer la capacité des radars du NORAD à détecter de petits objets et leur temps de réaction.

Des ballons américains

Les Américains auraient donc aussi des ballons, selon la réponse précédente du brigadier-général Côté. « Oui ! Ils ont un programme appelé Cold Star consacré à des ballons stratosphériques, répond-il. Ce sont des choses qui ne coûtent pas cher. Ils représentent une fraction du coût d’un satellite. » Le 6 février, la revue Popular Mechanics republiait d’ailleurs un article intitulé « Why Spy Ballons are the Pentagon’s New Secret Weapon ». « Les États-Unis développent leurs propres ballons de surveillance furtive et de collecte des renseignements », lit-on dans l’introduction de ce texte originalement paru le 11 novembre 2021.

Avec William Leclerc, du bureau de La Presse à Ottawa

Les ballons-suicides du Japon

PHOTO PROVENANT DE L’EXPOSITION LE CANADA EN GUERRE CONTRE LE JAPON, 1941-1945. COLLECTION D’ARCHIVES GEORGE-METCALF, MUSÉE CANADIEN DE LA GUERRE

Le capitaine Harold Ross a participé à la récupération de ballons-bombes en 1945.

Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon a lancé l’opération Fugo, une campagne de bombardement de la côte ouest de l’Amérique du Nord avec des ballons-suicides sans équipage. Quelque 9300 ballons auraient ainsi été lâchés. Autour de 500 se sont rendus jusqu’en Amérique. Au moins 80 ballons-bombes sont tombés au Canada. Les ballons ont fait peu de dommages, mais cinq adolescents sont morts dans une explosion le 5 mai 1945 en Oregon.

Source : Musée canadien de la guerre

Rectificatif
La version originale de ce texte indiquait que les États-Unis avaient aussi un programme de ballons stratosphériques sous le nom Cold Spot. En fait, le nom exact est Cold Star. Nos excuses.