(Ottawa) La décision du gouvernement libéral fédéral d’acheter un système de missiles sol-air pour le donner ensuite à l’Ukraine soulève des questions sur les raisons pour lesquelles un tel armement n’est pas offert aussi à l’Armée canadienne.

L’« armée de terre » est sans armes spécifiques pour défendre les soldats canadiens contre les aéronefs, les roquettes et les drones ennemis depuis que la dernière de ses armes antiaériennes a été retirée de l’arsenal en 2012. Les efforts pour en acquérir de nouvelles sont restés dans les limbes pendant des années.

Plusieurs commandants de l’armée ont décrit le manque de telles armes comme une lacune majeure, y compris le chef d’état-major actuel, le général Wayne Eyre, lorsqu’il était en 2019 à la tête de l’Armée canadienne — l’« armée de terre ».

En décembre dernier, M. Eyre déclarait encore que la restauration de la défense antiaérienne était l’une de ses principales priorités.

Un porte-parole de la ministre de la Défense, Anita Anand, expliquait mardi que la fourniture à l’Ukraine d’un système de missiles sol-air de fabrication américaine, au prix de 406 millions pièce, aiderait ce pays à se protéger des attaques aériennes contre les villes, les infrastructures et les sites militaires.

« L’invasion illégale et injustifiable de l’Ukraine par la Russie constitue également une attaque contre les règles internationales qui nous protègent tous, a écrit Daniel Minden dans un courriel. En d’autres termes, la sécurité de l’Ukraine est la sécurité de l’Europe et la sécurité du monde — y compris celle du Canada. »

« Pourquoi pas nous ? »

La décision d’acheter un système de missiles sol-air pour l’Ukraine a été saluée par d’anciens officiers militaires interrogés par La Presse Canadienne. Mais ces officiers à la retraite se sont également demandé pourquoi le gouvernement canadien ne faisait pas la même chose pour sa propre armée.

L’ancien député libéral Andrew Leslie, qui avait été auparavant commandant de l’Armée canadienne, a par exemple déclaré qu’il s’était d’abord réjoui d’apprendre que son gouvernement donnait un système air-sol à l’Ukraine. Mais il s’est aussitôt demandé : « Pourquoi diable ne l’achetez-vous pas aussi pour le Canada ? ».

Le besoin de défense antiaérienne est particulièrement pertinent maintenant que l’armée canadienne se prépare à déployer plus de soldats et d’équipement en Lettonie, où le Canada dirige un groupement tactique de l’OTAN chargé de défendre l’Europe de l’Est contre la Russie.

Au cabinet de la ministre, M. Minden n’a pas expliqué pourquoi le Canada achetait ce qu’on appelle le « système national de missiles surface-air perfectionné » (NASAMS) pour l’armée ukrainienne, mais pas pour sa propre armée. Il a plutôt souligné un projet d’acquisition lancé par le gouvernement libéral en 2018 pour obtenir une variété de systèmes de défense antiaérienne.

Ce projet de « système de défense aérienne basé au sol », d’un milliard de dollars, devrait fournir une variété de capacités pour se défendre contre différentes menaces. Il n’est toutefois pas prévu de livrer quoi que ce soit à l’armée avant au moins 2027.

Entre-temps, a déclaré M. Minden, « le Canada continue d’opérer aux côtés des nations alliées qui ont cette capacité ».

Rien depuis 2012

Le lieutenant-général à la retraite Marquis Hainse a déclaré que le besoin de ce que l’on appelle un système de défense aérienne au sol avait été identifié en 2013, lorsqu’il a pris ses fonctions de commandant de l’Armée canadienne.

« Nous en avons certainement fait une priorité pour l’armée, à mon époque, et nous n’y sommes jamais parvenus », a-t-il soutenu dans un courriel.

Des analystes ont déjà souligné que lorsque l’Armée canadienne a rangé la dernière de ses armes antiaériennes, en 2012, elle l’a fait en supposant que le Canada et ses alliés auraient la supériorité aérienne dans n’importe quelle bataille — et n’auraient donc pas à se soucier des attaques aériennes.

Mais M. Hainse fait remarquer que la guerre en Ukraine a mis en évidence un certain nombre de lacunes différentes dans les capacités de l’Armée canadienne, y compris le besoin de défenses aériennes.

Les deux officiers à la retraite admettent que le système de missiles sol-air, conçu pour intercepter les menaces à courte et moyenne portée, n’est peut-être pas parfait, mais constitue tout de même un début. « Est-ce une technologie de pointe ? Non. Mais nous n’avons rien pour le moment. »

De bonnes raisons

Le lieutenant-général à la retraite Guy Thibault, qui occupait auparavant le poste de chef d’état-major adjoint de la Défense, estime qu’il y a sans doute des raisons légitimes pour lesquelles le gouvernement a pris son temps avant d’acheter un système de défense aérienne au sol pour l’armée.

Il s’agit notamment de l’absence de menace claire, d’autres priorités dans les cartons et de l’accent mis par Ottawa sur le contenu canadien et les retombées économiques au Canada, qui ont guidé le système d’approvisionnement militaire canadien au cours de la dernière décennie.

« Mais je pense que les choses ont changé dans l’esprit des gens quand ils regardent ce qui se passe en Europe et pensent à nos soldats qui sont en première ligne là-bas », a-t-il déclaré.

« Et en tant que partenaire important de l’OTAN, je pense qu’il est plutôt gênant que nous ne puissions pas fournir ce type de capacité, ou que nous ne soyons pas en mesure de fournir plus de capacité pour contribuer à la mission de défense et de dissuasion de l’alliance en Europe. »