La condamnation - passée inaperçue avant aujourd'hui - aux États-Unis d'un Montréalais transportant pour plus de 1 milliard de dollars de cocaïne met au jour le milieu fermé des importations de drogue par voilier au Canada.

L'homme en question, Jean-François Cyr, 43 ans, a été arrêté par la garde côtière américaine en compagnie de deux autres individus à bord d'une embarcation de 20 m baptisée Sea Ya II, dans les eaux internationales, entre le Maine et la Nouvelle-Écosse, le 19 décembre 2017.

À l'époque de l'arrestation, les médias, dont La Presse, avaient rapporté que le navire transportait plus de 700 kg de cocaïne. Mais en réalité, la cargaison était de 1850 kg, pour une valeur, une fois vendue dans la rue, de 800 millions US (1 milliard CAN), selon des documents judiciaires américains.

Le voyage commence mal

Jean-François Cyr a plaidé coupable à un chef de complot pour possession avec intention de distribuer plus de 5 kg de cocaïne devant un tribunal du sud de la Floride, en mai 2018.

Dans l'espoir d'obtenir une peine réduite, son avocat a rédigé un document dans lequel il donne certains détails sur le trajet du navire et le rôle que son client dit avoir joué.

À la fin de 2017, Cyr s'est rendu en République dominicaine pour faire partie d'un trio qui prendrait possession de la cocaïne dans les Caraïbes et la transporterait ensuite jusqu'au Canada. Un Américain, Jeffrey Price, était le capitaine du navire. Il était secondé par un certain Mario Arends, qui parlait espagnol, et Jean-François Cyr. Ce dernier communiquait en français avec les gens qui devaient recevoir la cocaïne.

Après son départ de la République dominicaine, le Sea Ya II a souffert d'avaries mécaniques et a dû retourner au port. Après avoir été réparé, le voilier est reparti, mais a connu de nouveaux problèmes et a dû s'arrêter à Saint-Martin. Après cette autre escale imprévue, le navire s'est dirigé vers le Venezuela. 

Au large du Venezuela, un petit bateau transportant plusieurs individus lourdement armés a accosté le voilier, et les kilogrammes de cocaïne ont été transférés dans le Sea Ya II.

Le navire a ensuite amorcé son voyage vers le Canada, souvent dans des conditions météo difficiles et par un froid de canard.

À la hauteur du Maine, le voilier a été arraisonné par la garde côtière américaine, à la demande du Homeland Security, qui enquêtait sur le complot.

Devant les réponses évasives du capitaine, les gardes-côtes ont décidé de fouiller le navire et tôt fait de remarquer la cocaïne laissée à vue, dans 80 ballots entreposés dans la cabine de pilotage et dans un autre situé à la poupe du navire.

« Un contact direct »

Dans une déclaration sous serment par laquelle il a demandé une peine réduite de 10 ans de pénitencier, Jean-François Cyr a déclaré qu'il est né à Montréal et qu'il est paysagiste dans un cimetière.

Il a dit qu'il devait recevoir seulement 10 000 $ pour sa participation à l'importation de cocaïne, que le voilier a vogué loin des côtes américaines, que la drogue n'était pas destinée aux États-Unis, qu'il n'avait aucune idée de la quantité de cocaïne qu'il devait transporter, qu'il n'a pu s'opposer au transbordement en raison de la présence d'individus lourdement armés, qu'il n'a joué aucun rôle dans l'organisation du complot et que son rôle était de communiquer en français avec ceux qui devaient recevoir la drogue.

Les autorités américaines ont cru Jean-François Cyr lorsqu'il a décrit les problèmes survenus durant le voyage, mais elles l'accusent d'avoir menti sur d'autres aspects.

« Il a été embauché pour jouer un rôle important de contact direct avec les acheteurs de cocaïne au Canada. Il était leurs yeux et leurs oreilles, pour s'assurer que la drogue arrive à bon port et que ses complices agissent honnêtement. Il était le seul sur le bateau qui connaissait les membres de l'organisation au Canada et qui pouvait parler français avec eux. Il avait avec lui un téléphone satellite fourni par l'organisation, pour que cette dernière puisse être en communication constante avec lui », peut-on lire dans un document judiciaire.

Les autorités américaines soulignent également son passé criminel étoffé et « violent », précisant qu'il a des antécédents en matière de complot pour meurtre, vol, agression armée causant des lésions et trafic de drogue.

Selon nos sources, Jean-François Cyr serait un ancien membre du clan Palmer, une clique associée aux Dark Circle, eux-mêmes alliés des Rock Machine durant la guerre des motards des années 90 au Québec. Jean-François Cyr avait été vu en compagnie d'individus liés aux Bandidos durant l'enquête Amigos, à l'issue de laquelle la Division du crime organisé de la police de Montréal a démantelé ce groupe de motards qui avait pris la relève des Rock Machine au début des années 2000, mettant fin à la guerre.

La justice américaine a refusé de réduire la peine de Jean-François Cyr et l'a condamné à 15 ans de pénitencier. Elle a également refusé qu'il soit détenu au Canada, « car sa peine aurait pu être considérablement réduite par les autorités canadiennes et, par conséquent, il aurait servi une fraction de la peine de ses deux coaccusés », lit-on dans les documents.

Des pions

Toute cette affaire démontre encore que les organisations criminelles se servent de « pions » pour parvenir à leurs fins.

Selon les documents, l'un des coaccusés de Jean-François Cyr, Mario Arends, a été embauché à la dernière minute par les trafiquants, simplement parce qu'il parlait espagnol.

L'autre coaccusé, Jeffrey Price, 40 ans, est un mécanicien de moteur diesel. Il a travaillé sur des bateaux-remorqueurs avant de devenir camionneur sur de longues distances. Plusieurs de ses proches ont écrit au juge pour obtenir sa clémence. Lui également.

« Je suis désolé de ce que j'ai fait et j'en prends la responsabilité. Je suis particulièrement désolé pour ma famille, car c'est elle qui souffrira le plus », a-t-il écrit à la main.

Mario Arends et Jeffrey Price ont été condamnés à 10 ans de pénitencier.

- Avec Vincent Larouche, La Presse

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse. 

Photo archives La Presse

Jean-François Cyr en 1997, 
à l'époque où il faisait partie du clan Palmer.