Le chocolatier accusé par un tribunal des Caraïbes d’avoir brutalement assassiné l’entrepreneur canadien Daniel Langlois et sa compagne Dominique Marchand estime qu’il a été injustement dépeint dans l’avalanche de reportages au sujet des meurtres dans les médias internationaux.

S’exprimant pour la première fois à partir de la prison par l’intermédiaire de ses avocats et d’une société de relations publiques, l’Américain Jonathan Lehrer, 58 ans, a déclaré au Star qu’il ne pouvait pas faire de commentaires au sujet des allégations ou du plaidoyer qu’il envisageait, car l’enquête est en cours. Il n’a pas répondu aux questions concernant l’endroit où il se trouvait au moment des meurtres.

Mais Jonathan Lehrer a parlé de sa plantation de cacao, voisine du centre d’écotourisme de Daniel Langlois en Dominique, ainsi que de sa relation avec son coaccusé, Robert Snyder Jr., un mécanicien de Floride qui travaillait pour lui à l’époque des meurtres.

Jonathan Lehrer, né dans le New Jersey, a raconté une histoire idyllique à propos du déménagement de sa famille, il y a plus d’une décennie, dans la nation insulaire montagneuse, ainsi que de la création du Bois Cotlette Estate, une plantation de cacao prospère et une entreprise de tourisme.

« Nous avons tout vendu aux États-Unis pour nous installer en Dominique – c’est notre maison et notre amour », a indiqué M. Lehrer dans un courriel qui, selon l’agence de relations publiques engagée par sa famille, a été dicté à ses avocats.

Le couple retrouvé dans un VUS carbonisé

Les corps de Daniel Langlois, 66 ans, entrepreneur québécois renommé et pionnier de l’animation 3D, et de sa compagne Dominique Marchand, 58 ans, ont été retrouvés le 1er décembre 2023 dans un véhicule utilitaire sport incendié, sur un sentier isolé près de Soufrière, un village du sud de la Dominique.

PHOTO FOURNIE PAR LA FONDATION DANIEL LANGLOIS, TORONTO STAR

Daniel Langlois et Dominique Marchand

Selon la police de la Dominique, le couple est probablement tombé dans une embuscade alors qu’il rentrait à Coulibri Ridge, leur complexe hôtelier haut de gamme situé au sommet d’une montagne. Leur Nissan X-Trail a été criblé de balles avant d’être incendié alors que Daniel Langlois et Dominique Marchand se trouvaient à l’intérieur, selon la police.

Le jour même de la découverte des corps, la police a arrêté M. Lehrer, M. Snyder et Victoria Lehrer, la femme de Jonathan, dans la plantation de cacao. Victoria Lehrer a ensuite été libérée sans inculpation.

MM. Lehrer et Snyder sont toujours détenus à la prison d’État de la Dominique, où ils attendent leur procès. Ni l’un ni l’autre n’a encore indiqué s’il plaiderait coupable ou non coupable.

Une route au cœur d’un conflit amer

La femme de Jonathan Lehrer, Victoria, a engagé la société de relations publiques PRIME PR, établie au Texas, pour communiquer avec les médias et corriger les « informations erronées », a soutenu la présidente de la société, Nicolia Wiles.

« Pour que Jonathan puisse éventuellement obtenir un vrai procès devant un jury, les informations doivent être présentées correctement », a déclaré Mme Wiles au Star.

M. Lehrer a expliqué qu’il connaissait M. Snyder depuis leur rencontre à Clearwater, en Floride, il y a environ deux ans et demi, et qu’il l’avait engagé pour un contrat d’un an en tant que gestionnaire de la propriété de Bois Cotlette Estate. Le travail de M. Snyder consistait à mettre en service les véhicules et la machinerie lourde de l’entreprise. M. Lehrer a indiqué que M. Snyder était en Dominique depuis le début de l’année 2022.

Mme Wiles, de PRIME PR, a précisé que M. Snyder s’était absenté brièvement pour régler un problème familial en Floride et qu’il était revenu à la mi-novembre 2023, deux semaines avant les meurtres. Le Star a contacté l’avocat de Snyder, Wayne Norde, mais n’a pas eu de réponse.

Avant les meurtres, Daniel Langlois et Jonathan Lehrer étaient engagés dans un conflit amer qui durait depuis des années au sujet de l’utilisation du chemin public de Morne Rouge, qui reliait leurs propriétés. Certains habitants de l’île ont émis l’hypothèse que ce différend pourrait avoir joué un rôle dans la mort de Daniel Langlois et de Dominique Marchand.

M. Lehrer a abordé le sujet d’une vidéo virale montrant Victoria Lehrer criant contre un villageois. Des habitants de l’île ont dit au Star que la vidéo semble avoir été filmée sur la route publique de Morne Rouge.

Par l’intermédiaire de ses avocats, M. Lehrer a reconnu qu’il y avait « quelques cris » dans la vidéo et que « la situation était tendue » parce qu’il s’agissait d’une confrontation avec un résidant qui, selon lui, empoisonnait ses chiens.

Des comportements agressifs évoqués dans des critiques en ligne

M. Lehrer a également réagi à l’évocation par les médias de commentaires négatifs publiés sur TripAdvisor et faisant état de comportements grossiers et agressifs de sa part et de celle d’employés du domaine de Bois Cotlette.

Une personne a affirmé avoir été accostée par plusieurs employés de Bois Cotlette et un rottweiler et s’être sentie « menacée ». Une personne nommée « Jonathan I » a répondu sur la plateforme et a accusé l’auteur de l’évaluation de « violation de propriété » et a commenté « honte à vous ».

Au Star, Lehrer a déclaré que les critiques présentées dans les médias étaient « choisies » (cherry picked).

« Il y a beaucoup, beaucoup plus d’avis où les gens sont très heureux et montrent exactement comment ils ont aimé Bois Cotlette – nous avons une note de 4,5. »

PHOTO TORONTO STAR

Une des structures historiques du domaine Bois Cotlette, la plantation de Jonathan Lehrer et de sa femme Victoria

En 2011, les Lehrer ont acheté le domaine de Bois Cotlette, voisin du centre de villégiature écotouristique que M. Langlois et sa conjointe étaient en train de construire.

Les Lehrer étaient tombés par hasard sur la plantation lors d’une excursion d’une journée. Bien qu’elle ait été abandonnée et envahie par la végétation, ils ont été immédiatement captivés par une « sensation d’émerveillement », a déclaré M. Lehrer.

Ils ont commencé à accueillir des touristes amenés par les entreprises de croisière, leur montrant les bâtiments patrimoniaux et les méthodes traditionnelles de fabrication du chocolat. En 2013, ils ont ouvert leur propre société de tourisme.

« J’ai été époustouflé par sa viabilité commerciale », a dit M. Lehrer, qui travaillait auparavant chez MetLife, une compagnie d’assurance-vie américaine. « Nous n’avons pas eu à pousser notre produit du tout. Les gens ont toujours été attirés. Notre défi était de répondre à la demande exponentielle. »

Préoccupé par l’effet de la circulation sur les bâtiments historiques

Les documents judiciaires montrent que M. Lehrer tenait à préserver les bâtiments historiques de sa propriété et craignait que la circulation le long de la route menant à Coulibri Ridge n’endommage les structures.

En octobre 2018, M. Langlois a poursuivi M. Lehrer pour avoir prétendument causé des « interférences » avec l’utilisation de la route pendant plusieurs années.

Alors que l’affaire était en cours, des documents judiciaires montrent qu’un juge a accordé deux injonctions, l’une en 2018 et l’autre en 2019, ordonnant à M. Lehrer de cesser d’interférer avec l’utilisation de la route par M. Langlois, ses employés et ses invités. Cette décision a été prise après que l’Américain a prétendument creusé une tranchée et placé des rochers et des tuyaux métalliques en travers de la route.

« Il y a un récit qui se construit et qui dit que Jonathan a été potentiellement poussé à la violence parce qu’il était tellement outré d’avoir perdu le procès concernant le litige sur la route, et c’est complètement inexact », a déclaré Nicolia Wiles, notant que la poursuite de Daniel Langlois se trouve toujours devant les tribunaux.

Pour M. Lehrer, ce litige n’était qu’une « nuisance mineure », a ajouté Mme Wiles, et il s’attendait à gagner au tribunal.

Les archives judiciaires montrent que M. Lehrer a proposé un autre tracé pour la route, qui passerait par ses terres tout en permettant l’accès au complexe hôtelier de M. Langlois. Mme Wiles a fourni un document de 2016 qui montre que le gouvernement de la Dominique a approuvé une demande de construction d’une déviation de route, sous réserve de diverses conditions. Un document judiciaire de 2019 indique que M. Lehrer a résisté à « toute tentative » de faire examiner la route proposée par des ingénieurs.

Le refus de M. Lehrer de faire examiner la route de déviation était « contre-productif et ne faisait pas avancer l’affaire dans un esprit de compromis », a déclaré le tribunal.

En février 2021, M. Lehrer a déposé une défense et une demande reconventionnelle, accusant Langlois et ses employés d’« intrusion » et d’« utilisation excessive ou déraisonnable » de la route.