La libération récente du délateur Stéphane Gagné ravive de douloureux souvenirs chez les gardiens de prison québécois qui auraient préféré que celui qui a tué une de leurs collègues en plus d’en blesser un autre durant la guerre des motards reste emprisonné encore longtemps.

« Gagné, tant qu’il était en dedans, j’avais comme un genre de justice. Mais que maintenant, il puisse se refaire une vie, quand il en a brimé plusieurs et qu’il a même mis fin à la vie de certaines personnes, c’est inacceptable. »

Nataly, prénom fictif, car elle ne veut pas être identifiée pour des raisons de sécurité, était l’une des premières jeunes femmes gardiennes de prison dans le système provincial lorsqu’elle a commencé sa carrière en 1989.

Elle a travaillé quelques années avec Diane Lavigne à l’Établissement de détention de Montréal (Bordeaux) avant que cette dernière soit abattue, le 26 juin 1997, par Stéphane Gagné, qui obéissait ainsi à une demande de l’ancien chef guerrier des Hells Angels Nomads Maurice Boucher, mort en 2022.

Mais par la suite, Gagné a collaboré avec la police et a fait condamner Boucher, devenant ainsi l’un des délateurs les plus connus de l’histoire criminelle du Québec et du Canada.

Condamné à l’emprisonnement à vie pour le meurtre de Mme Lavigne et une tentative de meurtre contre un autre gardien de prison, Robert Corriveau, Gagné s’était adressé à la Cour supérieure et avait réussi à faire devancer sa date d’admissibilité à une libération.

Gagné a obtenu sa libération conditionnelle totale en janvier dernier, après avoir passé 25 ans derrière les barreaux.

En colère

Le 25 juin 1997, la veille du meurtre de Diane Lavigne, Nataly lui a remis un livre qu’elle lui avait emprunté. Elles avaient convenu de s’en reparler. Elles n’ont jamais pu le faire.

Le mois suivant, souffrant d’un choc post-traumatique, Nataly s’est retrouvée en arrêt de travail. Elle n’est jamais retournée et a pris sa retraite au début des années 2000.

« Je suis en colère. Je n’aurais jamais pensé que Gagné serait sorti. On pense qu’avec la prison à vie, il ne sortirait jamais, mais on en est rendu là », dit-elle.

« Je ne considère pas les services qu’il a rendus à la société. C’était des services intéressés. Il est allé au plus offrant et il a choisi le moins mauvais. On sait que le milieu ne pardonne pas », ajoute celle qui dit être « toujours emprisonnée dans la peur » alors que Gagné est libre.

Durant des années, Nataly a fait un pèlerinage annuel dans un mémorial où se trouve une plaque à la mémoire de Diane Lavigne, à Ottawa.

Chaque fois que Gagné défilait devant la Commission des libérations conditionnelles, les employés fédéraux communiquaient avec elle pour la prévenir, l’invitant à rédiger des lettres dont elle croit qu’elles ont été lues au détenu.

Elle a demandé à Gagné de lui écrire, en exprimant des remords sincères, mais il ne l’a pas fait.

Encore d’actualité

Alors qu’elle était toujours active, Nataly a fait l’objet d’un contrat émanant d’un motard.

Elle déplore les méfaits qui ont ciblé des véhicules personnels de gardiens de prison, récemment au Centre de détention de Saint-Jérôme.

« Ça n’a pas de sens. Cela m’est déjà arrivé dans l’aile C [Bordeaux] d’avoir une altercation avec un détenu et je sais qu’ils ont les mains longues. Un d’entre eux m’a déjà dit : “Toi, tu as tel char.” Il avait la marque, la couleur, etc. Ils ont des contacts à l’extérieur, mais nous, on fait seulement notre travail. Il en faut, dans la société, des gardiens de prison », dit-elle.

« J’ai parlé à des agents qui étaient en service à l’époque des meurtres des gardiens de prison et c’est sûr que cela ravive des souvenirs et ces tristes évènements, tout comme les actes de vandalisme de Saint-Jérôme survenus récemment ont ravivé ces souvenirs-là auprès des agents », renchérit Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec.

Lui et ses membres auraient préféré eux aussi que Gagné reste détenu.

« On comprend que le système est ainsi fait, mais d’un autre côté, ça nous déçoit quand un individu a attaqué directement des officiers de justice et que malgré ça, il peut être libéré. J’ai des agents au service qui vivent encore ces évènements-là et qui les vivront jusqu’à la fin de leur carrière. On a encore des personnes incarcérées qui nous rappellent ces évènements-là et qui s’en servent pour nous menacer encore aujourd’hui », conclut le chef syndical.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou à l’adresse postale de La Presse.