(Joliette) Deux adolescentes de 15 et 17 ans décrivent un viol collectif aux mains de trois jeunes hommes. Leur récit est « probablement » exact, selon le juge. Or, un doute persiste en raison de leur intoxication. Les trois hommes sont acquittés du chef le plus grave même si leurs témoignages étaient « étonnants » et que l’un d’entre eux était prêt à dire « tout et n’importe quoi ».

« On fait un gang bang. »

Ces paroles lancées par l’un des accusés, selon une plaignante, semblent bien résumer cette soirée qui s’est déroulée en pleine pandémie, en avril 2020. Une fête entre amis où se sont alliés drogue, alcool et sexe. Une soirée toutefois dépeinte de façon bien différente par les accusés et par les victimes.

Nathan Kalvin Jean-François, 21 ans, a été reconnu coupable d’avoir agressé sexuellement une mineure de moins de 16 ans, lundi, au palais de justice de Joliette. Il a toutefois été acquitté du chef le plus grave d’agression sexuelle avec la participation d’une autre personne. Ses coaccusés, les Montréalais Tommy Nicolas Michaud, 21 ans, et Dave Saint-Jean, 22 ans, ont été acquittés de tous les chefs.

Seul le quatrième coaccusé, jugé en Chambre de la jeunesse, est donc coupable d’avoir participé à un viol collectif. Il a été condamné à une probation de deux ans. Son identité est protégée puisqu’il était mineur à l’époque.

Fait particulier, le juge Bruno Leclerc décrit les plaignantes comme de « jeunes femmes » dans sa décision, alors qu’elles avaient 15 et 17 ans au moment des faits. Les versions des adolescentes sont aussi résumées très sommairement par le juge et rendent difficile la compréhension des évènements, de même que le raisonnement du magistrat.

Les deux meilleures amies consomment du cannabis avant d’aller à la fête. Dès leur arrivée, elles accumulent les « shooters » d’alcool. La plus jeune ne se souvient donc que de bribes de sa soirée. La plus vieille a certains trous de mémoire, mais se souvient davantage des évènements.

Les deux plaignantes décrivent un sinistre viol collectif : des fellations forcées et des relations sexuelles complètes avec plusieurs combinaisons des accusés et du mineur condamné. Jamais elles n’ont consenti à ces gestes, assurent-elles. À un certain point, la plus jeune était même inconsciente, selon l’autre adolescente.

« Prêt à dire tout et n’importe quoi »

Les trois coaccusés, eux, affirment que les adolescentes étaient consentantes à chaque relation sexuelle. Ce sont même les jeunes filles qui initiaient parfois les relations sexuelles, selon eux. Les trois hommes ont livré des témoignages « étonnants », selon le juge.

Dave Saint-Jean est même dépeint par le magistrat comme le type de témoin « prêt à dire tout et n’importe quoi pour se justifier ». L’accusé se rappelait ainsi l’ordre exact du passage d’un joint de cannabis ou l’heure indiquée sur un cadran à un moment précis, et ce, trois ans plus tard.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les coaccusés Dave Saint-Jean, Tommy Nicolas Michaud et Nathan Kalvin Jean François, au palais de justice de Joliette, lundi

Tommy Nicolas Michaud et Dave Saint-Jean – les deux accusés acquittés – soutiennent n’avoir pas vu les plaignantes boire de l’alcool ce soir-là. De surcroît, ils n’ont constaté aucune « intoxication que ce soit » chez les adolescentes. Elles étaient « tout à fait normales » à leurs yeux.

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Dave Saint-Jean, 22 ans

Pourtant, des vidéos déposées en preuve démontrent que les plaignantes étaient intoxiquées, retient le juge. Nathan Kalvin Jean-François porte même l’ado de 15 ans dans ses bras pour qu’elle se repose après avoir vomi.

Néanmoins, rien ne permet de rejeter « entièrement » le témoignage des accusés, estime le juge Leclerc, même si les gestes décrits par les plaignantes se sont « probablement produits ». Le juge leur fait donc bénéficier du doute raisonnable.

C’est plutôt le témoignage des plaignantes qui est sujet à caution, compte tenu de leur état d’intoxication et de la possible contamination, même involontaire, de leurs versions.

Le juge Bruno Leclerc, dans sa décision

Témoignages « insuffisants »

Selon le magistrat, les témoignages des plaignantes sont « insuffisants » pour prouver hors de tout doute raisonnable leur incapacité de consentir. Le juge précise toutefois peu sa pensée à ce sujet, se limitant à dire que le témoignage des plaignantes manque de fiabilité.

Le cas de Nathan Kalvin Jean-François est particulier. Il a lui-même avoué en interrogatoire en chef n’avoir pas « porté attention » si l’adolescente de 15 ans était « consentante » lors de leur rapport sexuel. Or, le consentement tacite n’existe pas en droit canadien.

Ainsi, Jean-François a reconnu avoir retourné l’adolescente pour la « prendre en doggy style » après avoir reçu une fellation. Il l’a ensuite retournée à nouveau pour poursuivre la relation sexuelle, sans jamais se soucier de savoir si elle y consentait. Il a bien tenté de se reprendre en contre-interrogatoire en prétendant avoir dit le « contraire » de sa pensée, mais le juge ne l’a pas cru.

L’avocat de Jean-François, MRamy El Turaby, a demandé la confection d’un rapport présentenciel en vue de l’imposition de la peine.

MAndrew Nader et MPatrick Davis ont défendu les autres accusés, alors que MAriane Roy-Drouin et MRoxane Gagné ont représenté le ministère public.