Lorsqu’un tueur à gages prolifique décide de retourner sa veste pour collaborer avec la police, c’est toujours un signe que des têtes vont tomber chez ses employeurs

Réal Simard, Donald Lavoie, Yves Trudeau, Gérald Gallant sont tous des tueurs à gages qui ont marqué l’histoire criminelle du Québec et même du Canada.

Il faudra toutefois bientôt ajouter à cette liste noire le nom de Frédérick Silva.

L’homme de 43 ans, qui était encore totalement inconnu avant qu’un avis de recherche soit lancé contre lui il y a six ans, est à l’origine des perquisitions effectuées cette semaine chez plusieurs des acteurs les plus importants du crime organisé montréalais, dans le cadre d’une enquête sur une série de meurtres dont on pourrait presque déjà dire qu’elle sera celle de la décennie.

On peut donc ajouter le nom de Silva à la liste de noms cités plus haut, mais à une différence près, et elle est majeure. Contrairement à ses prédécesseurs, Silva n’a pas travaillé que pour une seule organisation. Il aurait fait partie d’une table à laquelle étaient assis des représentants de plusieurs organisations criminelles, et où l’on décidait de la mort d’individus dont on voulait se débarrasser.

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Frédérick Silva

Silva a non seulement été le tueur du clan des Siciliens de la mafia montréalaise, comme certaines de nos sources l’étiquetaient déjà durant les années 2010, mais il a également été contractuel pour d’autres organisations criminelles, et aurait joué un rôle d’intermédiaire ou de « donneur d’ouvrage » pour des crimes commandés par d’autres.

D’après nos informations, depuis qu’il a commencé à collaborer avec la police, il y a un an et demi, il aurait fait des révélations sur une soixantaine de meurtres et tentatives de meurtre commis au sein du crime organisé montréalais depuis au moins les années 2000.

On nous dit qu’il a une mémoire implacable et une froide assurance. Il semble que les enquêteurs aient pu corroborer beaucoup des informations qu’il leur a fournies.

Silva peut et va donc assurément faire mal à plusieurs décideurs, et à plus d’une organisation criminelle.

Il sait beaucoup de choses, même sur des contrats dans lesquels il n’a pas été impliqué directement.

À cela s’ajoute le fait que les révélations de Silva nous permettront de connaître et de comprendre ce qui s’est passé au sein du crime organisé montréalais au cours des 20 dernières années.

« Silva, ce sera un nouveau chapitre de l’histoire criminelle du Québec et même du Canada qui s’écrira », nous a confié une source policière l’année dernière.

De l’ombre à la lumière

Depuis au moins le début des années 2010, Silva était connu dans les rangs de la police comme étant un tueur à gages.

En 2017, il a assassiné par balle un client innocent d’un bar de danseuses du centre-ville à la suite d’une banale dispute entre la victime et ses amis, et à partir de ce moment a commencé une chasse à l’homme acharnée qui a duré deux ans.

Durant sa cavale, à l’automne 2018, Silva a tué trois personnes, dont deux liées au crime organisé. Il a été arrêté par les enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en février 2019, accusé de ces meurtres, jugé, reconnu coupable et condamné à l’emprisonnement à perpétuité.

Après le meurtre de l’un de ses proches, il a peut-être réalisé qu’il serait le prochain. Il a retourné sa veste à l’été 2022 et est détenu dans un endroit tenu secret. Il a signé un contrat en bonne et due forme avec l’État et sa famille est protégée.

La fin du début de la fin ?

Qu’ont en commun les individus visés mercredi et jeudi par les perquisitions du SPVM et de la Sûreté du Québec dans le cadre de cette grande enquête en cours baptisée Alliance ?

Ils sont soit des chefs de cellules composant la mosaïque actuelle du crime organisé montréalais, soit des acteurs parmi les plus importants.

Leurs résidences ont fait l’objet de perquisitions. La police et les procureurs n’en sont pas encore à l’heure des arrestations et des mises en accusation.

En examinant la liste, on peut se demander si Gregory Woolley aurait fait partie des personnes visitées par la police cette semaine s’il n’avait pas été tué le 17 novembre.

On peut se demander aussi à la lecture de cette liste, à laquelle il manque vraisemblablement d’autres noms qui pourraient être cités à leur tour quelque part en 2024, si le clan des Siciliens, qui domine le crime organisé montréalais depuis 40 ans, risque d’en sortir affaibli, encore une fois.

Mais cela fait un certain temps – depuis l’opération Colisée en 2006, le putsch fomenté par des clans rebelles entre 2009 et 2011, un autre tenté par les frères Scoppa en 2016, et quelques autres opérations policières telles Magot-Mastiff en 2015 – que l’on écrit que c’est la fin des Rizzuto. Pourtant, ils sont toujours là, et leur clan est, du moins pour le moment, toujours le plus fort de la mafia montréalaise.

Mais la nature a horreur du vide ; dans l’ombre, une relève attend le moment opportun et se prépare probablement déjà à prendre la place, si cette fois-ci est la bonne.

Silva va ébranler les colonnes du temple, mais un autre est probablement déjà en construction.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.

Des acteurs importants visés par la police

Vito Salvaggio

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Vito Salvaggio

La police le considère, avec Stefano Sollecito et Leonardo Rizzuto, comme l’un des chefs du clan des Siciliens de la mafia montréalaise.

Pietro D’Adamo

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Pietro D’Adamo

Très présent dans les secteurs de LaSalle et de Lachine, il est considéré par la police comme un associé du clan des Siciliens.

Davide Barberio

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Davide Barberio

La police le considérait, ces dernières années, comme le patron de la rue (street boss) de la mafia montréalaise. Il est un associé de Marco Pizzi, chef d’une cellule de la mafia présente dans le nord-est de Montréal. Il a été victime d’une tentative de meurtre chez lui à Laval en septembre 2021.

Les hommes de Gregory Woolley

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Jean-Philippe Célestin (à gauche) début décembre lors de l’exposition du corps du défunt chef de gang Gregory Woolley.

Jean-Philippe Célestin était le bras droit de Gregory Woolley, jusqu’à l’assassinat de ce dernier à Saint-Jean-sur-Richelieu le 17 novembre. Emmanuel Zéphir est l’ancien chef d’un gang de rue d’allégeance bleue autrefois proche du Syndicate, défunt gang parrainé par Woolley et actif pour le compte des Hells Angels. Lou Sprinces Cadet, ancien membre du Syndicate, était lui aussi un homme de Woolley. Cadet est également proche des motards.