Le violent conflit entre un trafiquant de drogue indépendant et un membre des Hells Angels de Québec qui a éclaté ces derniers mois a de quoi surprendre.

À la fin des années 2010, les différents corps de police du Québec, et même du Canada, ont désigné les Hells Angels comme l’organisation criminelle la plus puissante au pays.

Selon la Sûreté du Québec, les Hells Angels contrôlent actuellement de 85 à 90 % du territoire québécois, sauf quelques secteurs à Montréal et à Laval.

Partout dans la province, ils comptent sur des dizaines de clubs sympathisants ou subalternes qui veillent à leurs intérêts et parmi lesquels ils recrutent.

Les Hells Angels du Québec ont su profiter de l’affaiblissement de la mafia, minée par des guerres intestines et la mort naturelle du parrain Vito Rizzuto il y a 10 ans.

Alors que l’objectif des autorités était de les éradiquer avec l’opération SharQc en 2009, ils se sont relevés après que la quasi-totalité d’entre eux a passé au moins six ans en prison.

Loin de la rue

Deux choses, qui méritent d’être soulignées, se sont passées durant ces six années de détention.

Des trafiquants ont profité de l’absence des Hells Angels pour prendre de la place. De leur côté, tirant les leçons de SharQc, les Hells Angels se sont raffinés et ont changé.

À partir du moment où ils ont commencé à être libérés vers 2015, ils sont devenus des hommes d’affaires possédant leurs entreprises. Finies les mains directement dans le trafic de drogue ; ils sont maintenant des « gestionnaires » de territoires, permettant à des trafiquants indépendants de vendre dans leur secteur en échange d’une « taxe » ou en les obligeant à s’approvisionner auprès d’eux en kilogrammes de cocaïne qui sont souvent plus chers qu’ailleurs.

Plusieurs de ceux qui avaient profité de l’absence des Hells Angels durant six ans et qui n’ont pas voulu se plier à ces règles à leur retour en force en ont payé le prix depuis 2014.

Un contexte propice

Mais dix ans plus tard, les Hells Angels sont-ils victimes de leurs succès et de l’effet boomerang ?

Quand on est si dominant, n’est-il pas inévitable qu’un jour, des individus qui nous trouvent trop gourmands, et qui trouvent nos règles trop sévères, refusent de se soumettre à l’autorité ?

Surtout si les Hells Angels, qui n’ont pas eu d’opposition depuis longtemps, ont vieilli et que, dans bien des cas, ils ont déjà leur avenir assuré ?

Loin également sont les années où ils tenaient eux-mêmes une arme à feu, un peu comme ces membres de jeunes générations de mafiosi élevés dans la ouate.

Les Hells Angels, qui ont déjà connu une guerre et la prison, n’ont probablement pas envie d’y goûter de nouveau.

Et le moment pour une rébellion est peut-être bien choisi alors que des sources nous disent qu’au sein même des Hells Angels, on ne s’entend pas toujours sur les façons de faire, et que des membres de la section de Montréal en ont déjà plein les bras avec un conflit sanglant dans la métropole autour du contrôle des paris sportifs de la mafia.

Le spectre de la guerre

Selon nos informations, les violences à Québec ont comme trame de fond un conflit entre un Hells Angel de la Vieille Capitale et un trafiquant de drogue indépendant, aidé de membres de gangs de rue de Montréal, qui a décidé de ne plus s’approvisionner en cocaïne auprès des motards.

Récemment, un conflit entre un trafiquant indépendant et un autre, ce dernier associé des Hells Angels, a provoqué des remous dans la région de Salaberry-de-Valleyfield, et la Sûreté du Québec dit surveiller les régions de Saguenay et de la Côte-Nord, où des tensions similaires se profileraient à l’horizon.

Déjà, des observateurs ressortent le spectre de la guerre des motards – qui a fait 160 morts et autant de blessés entre 1994 et 2002 –, mais la police se fait rassurante et dit surveiller la situation de près pour éviter que la rébellion fasse tache d’huile.

Mais si l’histoire en vient à se répéter, des chapitres s’écriront cette fois-ci avec une encre nouvelle.

Aujourd’hui, il faut en effet compter sur une nouvelle génération de « contractuels » désorganisés et volatils, plus jeunes, parfois des mineurs possédant une arme de poing, qui n’ont pas froid aux yeux et n’ont aucun respect pour l’autorité et la vie.

Ceux-ci peuvent paraître insaisissables, mais le lion ne restera peut-être pas longtemps endormi.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.