(Ottawa) La Cour fédérale a approuvé verbalement, mardi, le règlement historique de 23 milliards qui prévoit qu’Ottawa indemnisera plus de 300 000 enfants des Premières Nations et leurs familles pour le sous-financement chronique des services de protection de l’enfance dans les réserves.

Le règlement survient plus de 15 ans après que l’Assemblée des Premières Nations et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada ont déposé conjointement une plainte en matière de droits de la personne qui a déclenché une bataille juridique de plusieurs années avec le gouvernement fédéral.

La cheffe nationale par intérim de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Joanna Bernard, a parlé de la résilience des plaignants dans leur défense de leurs intérêts et de ceux de leurs communautés. Elle a déclaré que son organisation était « très, très heureuse » de ce résultat et souhaitait que les enfants et leurs proches reçoivent l’indemnisation le plus rapidement possible.

La directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, Cindy Blackstock, a déclaré sur X (anciennement Twitter) qu’elle pensait aux victimes et qu’elle attendait avec impatience de voir un « soutien complet » pour elles à mesure que le processus se poursuit.

La société a également laissé entendre dans un communiqué qu’elle espère que ce règlement « historique » sera le dernier. Il indique que l’on doit aux victimes de cette affaire, aux survivants des pensionnats pour enfants autochtones et de la rafle des années 1960, ainsi qu’au public « de veiller à ce que le Canada mette fin à sa discrimination continue à l’égard des enfants, des jeunes et des familles des Premières Nations et d’empêcher que cela ne se reproduise ».

La plainte relative aux droits de la personne de 2007 alléguait notamment que le sous-financement par Ottawa des services de protection de l’enfance dans les réserves équivalait à de la discrimination, en vertu de la Charte. Elle soutenait que les enfants des Premières Nations se voyaient refuser un accès égal au soutien offert aux autres Canadiens, allant des fournitures scolaires à l’équipement médical.

Reconnaître les torts

En 2016, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que les enfants des Premières Nations avaient effectivement fait l’objet d’une discrimination « délibérée » et « inconsidérée » de la part du gouvernement fédéral.

Le Tribunal a constaté que les services fournis par le gouvernement avaient des répercussions négatives sur les Premières Nations et que, dans certains cas, ces services leur étaient refusés en raison du rôle du gouvernement.

« Le comité reconnaît la souffrance des enfants et des familles des Premières Nations qui se voient ou se sont vu refuser une chance équitable de rester ensemble ou d’être réunis en temps opportun », indique la décision de 2016.

En 2019, le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné à Ottawa de payer 40 000 $ – la peine maximale en cas de discrimination – à chaque enfant retiré de manière inappropriée de son foyer à partir de 2006, ainsi qu’à ses parents ou grands-parents.

La protection de l’enfance figurait également parmi les questions centrales signalées dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui a passé six ans à se pencher sur le douloureux système de pensionnats gérés par l’Église et financés par le gouvernement, qui a fonctionné des années 1870 à 1996.

Le règlement proposé comprend 23 milliards d’indemnisation pour plus de 300 000 enfants et leurs familles, ainsi que 20 milliards supplémentaires pour réformer le système de protection de l’enfance.

Ottawa avait proposé l’an dernier de dépenser 20 milliards pour réformer le système de protection de l’enfance et 20 milliards supplémentaires pour l’indemnisation. Mais, le Tribunal des droits de la personne a exprimé ses inquiétudes quant au fait que tous les demandeurs admissibles ne pourraient peut-être pas recevoir l’indemnisation.

Une étape importante vers la réconciliation

La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a déclaré que l’approbation du règlement était un élément d’une réforme plus large du système de protection de l’enfance, et les survivants ont fait valoir qu’une somme monétaire ne guérirait pas les traumatismes qu’ils ont vécus.

« Des familles ont été brisées. Les gens ont grandi sans rien connaître de leurs origines, de leur véritable lien avec la culture ou la langue », a déclaré la ministre Hajdu aux journalistes, mardi.

Dans une entrevue, Mme Hajdu a ajouté que réformer le système de protection de l’enfance pour qu’il fonctionne dans le meilleur intérêt des enfants et des familles prend du temps.

Elle a fait mention de la loi adoptée en 2019 auparavant connue au Parlement sous le nom de projet de loi C-92, qui confère aux Premières Nations la compétence en matière de protection de l’enfance si elles choisissent d’y adhérer. Jusqu’à présent, dix accords ont été signés à travers le pays, a-t-elle indiqué.

« Je peux vous dire que c’est extrêmement touchant lorsqu’une communauté a sa propre loi et commence à assumer la garde et le contrôle de ses propres enfants », a-t-elle déclaré.

Quant à l’envergure du règlement, Mme Hajdu a affirmé qu’elle comprenait à quel point il pourrait être difficile pour les gens de « comprendre l’ampleur des dégâts qui ont été causés aux familles ».

« Il s’agit d’individus, de familles, de parents d’enfants qui ont énormément souffert en essayant de faire de leur mieux avec un système profondément discriminatoire », a-t-elle indiqué.

Le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Gary Anandasangaree, a dit que le règlement constitue une étape importante vers la réconciliation.

« Le coût de la réconciliation devient de plus en plus élevé à mesure que nous reportons des décisions très critiques, notamment concernant les préjudices passés », a déclaré M. Anandasangaree aux journalistes sur la colline du Parlement.

« Et ce que nous avons fait aujourd’hui, je pense, c’est vraiment reconnaître le préjudice énorme que ces pratiques ont causé aux jeunes en particulier, mais aussi à leurs familles et à leurs communautés. »

Lundi, Mme Blackstock avait dit qu’elle « se sentait encouragée à l’idée que cela pourrait enfin être une certaine mesure de justice pour les nombreuses victimes, enfants, jeunes et familles de la discrimination au Canada. »

Elle avait cependant indiqué que des problèmes persistent dans le système de protection de l’enfance.

Mme Blackstock a soutenu que les enfants des Premières Nations vivant dans les réserves sont toujours soumis à un accès inéquitable aux soins de santé et qu’Ottawa doit faire davantage pour les protéger.

« Nous devons nous assurer que le gouvernement du Canada traite réellement les enfants équitablement. Pas seulement aujourd’hui, mais après-demain et l’année d’après », a-t-elle déclaré lundi.

La Cour fédérale reprendra ses audiences jeudi, notamment sur les honoraires d’avocat demandés par les avocats impliqués dans l’affaire. Cette facture pourrait atteindre 80 millions.

Mme Hajdu a fait savoir que le gouvernement fédéral faisait appel de ce coût devant les tribunaux et négociait « de bonne foi » avec les avocats pour trouver un montant plus « raisonnable ».