(Ottawa) « On n’est plus dans un pays libre ! » Une vidéo de Steeve Charland, captée le 30 janvier 2022, a été présentée en preuve lors de son procès qui s’est ouvert lundi à Ottawa. Le leader des Farfadaas est accusé de méfait et d’incitation au méfait, des gestes qu’il aurait commis lors du « convoi de la liberté ». Son avocat songe à déposer une requête en non-lieu.

Ce qu’il faut savoir

  • Le procès de Steeve Charland pour des gestes qu’il aurait commis durant le « convoi de la liberté » en 2022 s’est ouvert à Ottawa lundi. Le leader des Farfadaas est accusé de méfait et d’incitation au méfait.
  • Le groupe opposé aux mesures sanitaires avait installé un kiosque dans la rue Wellington, tout près de la colline du Parlement.
  • Des centaines de camions lourds en provenance d’un peu partout au pays avaient bloqué le centre-ville de la capitale fédérale pendant plus de trois semaines.

Ce jour-là, un long convoi organisé par le groupe opposé aux mesures sanitaires a fait son arrivée à Gatineau. Dans la vidéo, présentée par le procureur de la Couronne, François Dulude, on voit Steeve Charland juché sur un véhicule et s’adressant aux manifestants.

« Les truckers ont allumé un grand feu, a-t-il dit. Nous autres, on a décidé de venir l’alimenter avec eux. »

De l’autre côté de la rivière des Outaouais, des centaines de camions bloquaient les rues du centre-ville d’Ottawa depuis quelques jours. Ils allaient rester plus de trois semaines avant d’être délogés durant une vaste opération policière, la plus grosse de l’histoire du pays.

Steeve Charland a plaidé non coupable aux accusations qui pèsent contre lui. Lorsque La Presse lui a demandé dans quel état d’esprit il était avant le début du procès, il a répondu qu’il était « prêt à faire face à la musique ».

La Couronne tentera de démontrer que Steeve Charland était le meneur du convoi des Farfadaas et qu’il a commis un méfait, notamment en distribuant de l’argent aux camionneurs à Ottawa. La défense fera plutôt valoir qu’il exerçait son droit de manifester garanti par la Charte canadienne des droits et libertés.

« C’est sûr qu’à l’intérieur de ce procès-là, on va avoir une discussion par rapport à qu’est-ce qu’un droit de manifester aujourd’hui par rapport à ce que la loi nous permet de faire », a expliqué son avocat, Nicolas St-Pierre, en entrevue. « Et est-ce que, oui ou non, il y a eu violation de ça de la part de M. Charland ? »

Lors de la première journée d’audience, la Cour a entendu les témoignages de l’inspecteur Patrick Vaillancourt et du sergent Karl Sauvé, du Service de police de la Ville de Gatineau. Durant le « convoi de la liberté », les Farfadaas avaient installé leur quartier général dans un stationnement du centre-ville de Gatineau, loué 1000 $ par jour. Le groupe québécois opposé aux mesures sanitaires comptait au départ rester quelques jours, mais avait fini par s’y incruster.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Campement des Farfadaas dans un stationnement d’Ottawa, en février 2022

Ils « n’avaient pas l’intention de quitter et allaient être là pour longtemps », a constaté M. Vaillancourt. Le campement au stationnement Zibi servait de base et des membres du groupe, dont Steeve Charland, marchaient les quelques kilomètres qui les séparaient du centre-ville d’Ottawa.

« Ils se distinguaient par leur style vestimentaire », a affirmé MDulude, en ouverture, décrivant leurs « vestes de cuir avec des patchs ». Dans une vidéo présentée en preuve, on voit M. Charland et quelques autres hommes se tourner de dos devant la caméra pour montrer le doigt d’honneur des Farfadaas brodé derrière leur veste.

Des membres du groupe faisaient des allers-retours entre Gatineau et le centre-ville d’Ottawa, où ils avaient installé un kiosque tout près de la colline du Parlement. La police d’Ottawa s’inquiétait de la présence du groupe à l’angle des rues Rideau et Sussex. Lors de son témoignage à la commission Rouleau, la chef adjointe du Service de police d’Ottawa, Patricia Ferguson, avait dépeint le groupe comme étant « hostile » et intimidant. Elle lui avait attribué la fermeture du centre commercial Rideau, le plus gros de la ville. Or, la Couronne n’entend pas présenter de preuve à cet effet.

Steeve Charland avait rejeté toute allégation de comportement violent durant le « convoi de la liberté » lors de son témoignage à la Commission. Il a été arrêté le 27 février à Vankleek Hill, petite ville située à une centaine de kilomètres de la capitale fédérale, et est demeuré incarcéré 23 jours.

Son avocat a indiqué au juge qu’il pourrait déposer une requête en non-lieu une fois la preuve entendue.

Charland cherche 50 000 $

Le leader des Farfadaas est à la recherche de 40 000 $ à 50 000 $ pour payer ses frais d’avocat. Il a publié une vidéo sur les réseaux sociaux la semaine dernière pour solliciter des dons. Ses conditions de libération qui l’empêchaient de s’exprimer sur les réseaux sociaux ont récemment été assouplies.

Parce que les avocats coûtent cher, parce qu’on n’a plus les moyens avec les combats qu’on a menés depuis une couple d’années et parce que je ne comprendrais pas de mener ce combat seul, puisqu’on n’était vraiment pas seuls quand on l’a fait.

Steeve Charland, en entrevue avec La Presse

Le procès qui devait durer au départ entre quatre et cinq semaines devrait plutôt s’échelonner sur deux ou trois semaines. Les audiences se déroulent entièrement en français en Cour supérieure de l’Ontario devant le juge Robert Pelletier.

Il s’agit de son deuxième procès lié à des manifestations contre les mesures sanitaires durant la pandémie. Les Farfadaas avaient bloqué le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine en mars 2021. Il avait écopé d’une peine suspendue assortie de 120 heures de travaux communautaires pour sa participation au méfait et au complot.

Environ 15 personnes étaient présentes au palais de justice d’Ottawa pour l’appuyer. Parmi eux, l’ex-Farfadaa Mario Roy, dont le procès pour le blocage du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine à Montréal n’est pas terminé.

Une importante opération policière avait mis fin au « convoi de la liberté » en février 2022 après le recours par le gouvernement Trudeau à la Loi sur les mesures d’urgence. La commission Rouleau visait à déterminer si ce recours historique à cette législation d’exception pour donner des pouvoirs extraordinaires aux autorités et suspendre certains droits était justifié.

En savoir plus
  • 600 000 $
    Coût des heures de travail des policiers de Gatineau lié à la présence des Farfadaas durant le « convoi de la liberté »
    source : Patrick Vaillancourt, inspecteur du Service de police de Gatineau