L’excès de zèle d’un inspecteur de Postes Canada et la négligence de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont bousillé une longue enquête et permis à un fabricant allégué d’armes à feu d’être acquitté. Le Montréalais était soupçonné de vouloir assembler plus d’une centaine d’armes prisées des criminels.

Ce qu’il faut savoir

  • Le Montréalais Desmond McClish a été acquitté d’accusations de fabrication d’armes à feu.
  • Ses droits fondamentaux ont été violés par l’excès de zèle d’un inspecteur de Postes Canada et de la GRC.
  • Desmond McClish était soupçonné de commander des pièces d’armes à feu par la poste.

« La Charte a été adoptée il y a plus de 40 ans. Comment expliquer qu’encore aujourd’hui des agents de l’État se comportent de façon aussi peu respectueuse à son endroit, sans se soucier des conséquences sur l’administration de la justice ? », s’interroge le juge Christian M. Tremblay dans une décision rendue jeudi dernier qui malmène particulièrement Postes Canada.

Le juge a conclu que les droits fondamentaux de Desmond McClish avaient été violés par Postes Canada et les policiers fédéraux et provinciaux. Le Montréalais de 45 ans, arrêté en 2019, a donc été acquitté de tous les chefs d’accusation, puisque l’essentiel de la preuve a été exclu par le magistrat.

Desmond McClish était notamment accusé de possession d’armes à feu à autorisation restreinte et de fabrication d’armes à feu à autorisation restreinte. Selon la Couronne, McClish se faisait livrer par la poste des pièces lui permettant de fabriquer des armes à feu. Il se présentait parfois au comptoir sous un nom d’emprunt.

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Desmond McClish, accusé de possession et de fabrication d’armes à feu

Même s’il lui était interdit de posséder une arme en raison d’une ordonnance de la cour, il avait réussi à renouveler son permis d’arme en 2015 en raison d’une erreur de frappe dans son nom.

« Une arme de crime »

Les policiers ont saisi chez lui 25 carcasses d’armes à feu de marque Polymer80, des chargeurs Glock et des silencieux. Il ne s’agit pas d’armes fonctionnelles, mais seulement de pièces d’armes. Toutefois, selon les policiers, McClish avait commandé des pièces lui permettant d’assembler 76 carabines de type AR-15 et 45 pistolets de type Glock.

« On utilise beaucoup de ce type d’arme-là à des fins criminelles. C’est une arme de crime », avait témoigné un expert pendant le processus judiciaire.

Mais peu importe la preuve amassée, celle-ci n’a aucune valeur, puisque les droits fondamentaux de l’accusé ont été violés dès le départ par Postes Canada.

Tout commence en 2018 lorsque l’équipe de lutte contre le blanchiment d’argent de Postes Canada constate des activités « suspectes » de la part de McClish. Un inspecteur des services de sécurité de Postes Canada contacte alors la GRC par courriel pour l’en informer.

Trois jours plus tard, l’inspecteur zélé et ses supérieurs décident de divulguer à la GRC des informations personnelles concernant Desmond McClish. Ils savent alors très bien qu’ils contreviennent à la Loi sur la protection des renseignements personnels, puisqu’ils n’ont pas de mandat. Mais la situation est trop grave, à leurs yeux.

L’inspecteur poursuit son zèle en passant aux rayons X un colis destiné à McClish. Selon le juge, cela revient à ouvrir le colis, et donc à une fouille. De plus, l’inspecteur n’a pas fouillé ce colis pour des raisons légitimes, mais bien pour faire avancer l’enquête criminelle de la GRC qu’il avait lui-même initiée, affirme le juge.

« La GRC a été nonchalante »

Ces incartades peuvent sembler banales au premier coup d’œil. Or, il s’agit de graves violations en vertu de la Charte, selon le juge Tremblay. L’inspecteur zélé de Postes Canada n’avait aucunement le droit de refiler à la GRC les renseignements personnels de l’accusé sans autorisation judiciaire. Pour justifier une telle communication, il aurait fallu que le président du conseil de Postes Canada l’autorise.

[L’inspecteur] a démontré un mépris flagrant de la loi. Les agissements de l’inspecteur sont graves et délibérés. Il a fait preuve de mauvaise foi à l’égard des droits de McClish.

Extrait du jugement de Christian M. Tremblay

Le magistrat reproche aussi à la GRC sa « négligence » et son « manque de rigueur ». La police fédérale a en effet laissé Postes Canada procéder à une fouille sans mandat, alors qu’il lui aurait été impossible d’obtenir une autorisation judiciaire pour le faire à ce stade.

« La GRC a été nonchalante à l’égard des droits de McClish. Elle a tiré profit du zèle et des agissements illégaux de l’inspecteur sans se poser de questions », soutient le juge.

Visiblement peu intéressée par ce dossier, la GRC a refilé l’enquête en 2019 à l’ENRCO, une escouade de lutte contre le crime organisé chapeautée par la SQ. Toutefois, il était trop tard, puisque la preuve était déjà entachée, selon le magistrat.

Le juge Tremblay blâme aussi l’ENRCO d’avoir caché de l’information à un juge pendant l’enquête en indiquant faussement que celle-ci avait débuté en avril 2019, et en omettant de dire que l’enquête relevait initialement de la GRC.

« L’affiant n’a pas agi de bonne foi. Il a caché des informations importantes, voire même capitales, au juge autorisateur. Il s’agit là d’une insouciance grave […]. La conduite inacceptable des agents de l’État et les nombreuses entorses au principe de la primauté du droit requièrent que le Tribunal se dissocie du fruit de ces conduites illégales », tranche le juge Tremblay.

MPhilippe Vallières-Roland et MNicole St-Pierre ont représenté le Directeur des poursuites criminelles et pénales, alors que MMarc Labelle et MClaudia Doyle ont défendu l’accusé.