Le procès pour abus de confiance d’un ancien scientifique de l’Agence spatiale canadienne s’est ouvert à Longueuil lundi avec le témoignage du président d’une entreprise ontarienne, qui a expliqué comment il s’est retrouvé dans l’embarras lorsque l’accusé, un de ses contacts importants au sein de l’appareil fédéral, a insisté à répétition pour qu’il embarque dans le projet « louche » d’une entreprise chinoise.

Wanping Zheng, qui a travaillé au siège de l’Agence spatiale, à Saint-Hubert de 1993 à 2019, avait la charge d’interagir avec plusieurs entreprises canadiennes de l’industrie de l’aérospatiale dans ses fonctions. La thèse de la poursuite est qu’il a commis un abus de confiance en servant en parallèle les intérêts de Spacety, une entreprise d’exploration spatiale chinoise. « Pendant plusieurs années, il a agi dans l’intérêt d’une organisation étrangère », a martelé le procureur de la Couronne fédérale, MMarc Cigana, dans sa déclaration d’ouverture au palais de justice de Longueuil, lundi matin.

La Gendarmerie Royale du Canada (GRC), qui a mené l’enquête, a déclaré au moment de l’arrestation du suspect qu’il s’agit d’un cas d’ingérence de la Chine dans l’appareil fédéral canadien.

Accès à la première dame de l’Islande

Le premier témoin appelé à la barre a été Ewan Reid, président de l’entreprise Mission Control Services, une firme d’Ottawa qui offre des services de logiciels en matière. M. Reid a témoigné que l’Agence spatiale canadienne était son principal client, mais aussi un pourvoyeur de financement important pour les projets de son entreprise.

L’un de ses contacts les plus importants au sein de la société de la couronne était Wanping Zheng, qui devait juger si les produits de Mission Control Services correspondaient aux besoins du Canada, a-t-il expliqué.

Or, en 2018, M. Zheng a contacté M. Reid pour lui demander s’il pouvait aider une entreprise chinoise, Spacety, dans un projet d’installation d’une station de communications au sol pour ses satellites, en Islande.

« Il a dit qu’il était au courant que j’ai des liens étroits avec l’Islande », a raconté M. Reid à la cour.

« Ma sœur est mariée au président de l’Islande. Ma sœur est la première dame de l’Islande », a-t-il précisé.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA PRÉSIDENCE ISLANDAISE

Eliza Reid, première dame de l’Islande.

Au fil des échanges étalés sur plusieurs mois, M. Reid a réalisé qu’aucune des expertises de pointe de son entreprise n’était nécessaire pour bâtir ou opérer la station satellitaire chinoise en Islande. Ce que Spacety voulait, c’était qu’il obtienne l’autorisation du gouvernement islandais pour l’usage de certaines fréquences de transmission réglementées. Le projet était très urgent, faisant valoir M. Zheng.

M. Reid a mis M. Zheng en contact avec un gestionnaire d’université de Reykjavik, un site envisagé pour installer la station. Lors de son premier courriel au gestionnaire universitaire, M. Zheng s’est présenté comme un employé de l’Agence spatiale canadienne, même si le projet n’avait rien à voir avec la société de la couronne, selon un courriel déposé en preuve.

De plus en plus louche

Ewan Reid a finalement décliné l’offre de partenariat. « Je sentais qu’il y aurait, si ce n’est un conflit d’intérêts, à tout le moins une perception de conflit d’intérêt, ce qui est aussi mauvais », a-t-il expliqué.

« Il devenait clair que ce qui importait, c’était d’obtenir les allocations de fréquences, en raison de mon influence… que je n’ai même pas », a-t-il précisé.

Wanping Zheng aurait insisté, en faisant valoir que ce projet ouvrirait la porte à une relation à long terme entre l’entreprise ontarienne et Spacety, qui pourrait ensuite installer d’autres stations de communications pour ses satellites sur le site de l’université Carleton, à Ottawa, ainsi qu’à Inuvik, aux Territoires du Nord-Ouest.

« C’est devenu de plus en plus louche », a raconté M. Reid.

Toutefois, il craignait de froisser M. Zheng en refusant. « Wanping était un contact important à l’Agence spatiale canadienne, qui est un client très important », a-t-il dit.

« Nous voulions certainement conserver une relation positive avec les gens à l’Agence spatiale canadienne », a-t-il ajouté.

« C’est potentiellement louche, je ne veux pas être associé… j’essayais de [fermer la porte] sans couper les ponts avec Wanping », a déclaré M. Reid.

Le procès doit durer huit jours au palais de justice de Longueuil.