(Ottawa) Plus les participants du « convoi de la liberté » bloquaient les rues d’Ottawa l’année dernière, et plus les relations entre la police et les manifestants devenaient instables, a témoigné mercredi un policier d’Ottawa qui faisait partie du groupe de coordination mis sur pied pour accueillir l’évènement dans la capitale.

L’inspecteur Russell Lucas était appelé à la barre par la Couronne, mercredi, au deuxième jour du procès criminel de Tamara Lich et Chris Barber, deux importants organisateurs des manifestations de l’hiver 2022.

Pour leur rôle présumé dans les manifestations qui ont duré trois semaines, Mme Lich et M. Barber sont accusés de méfait, d’entrave au travail des policiers, d’intimidation et d’avoir conseillé à d’autres de commettre des méfaits. M. Barber fait aussi face à une accusation supplémentaire pour avoir conseillé à d’autres de désobéir à une ordonnance du tribunal.

Des milliers de personnes et de gros véhicules avaient envahi fin janvier 2022 la capitale fédérale pour protester contre les mesures sanitaires liées à la COVID-19 — et plus largement contre le gouvernement libéral. Après trois semaines, le premier ministre Justin Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence pour faire déloger les manifestants.

L’inspecteur Lucas, qui était commandant des interventions pendant la manifestation, a affirmé mercredi au tribunal que les manifestants étaient au début plutôt coopératifs avec la police, alors que les policiers tentaient de diriger la circulation pendant que les véhicules du « convoi » commençaient à arriver dans la capitale.

Mais à mesure que les jours passaient, la police risquait davantage d’être débordée lorsqu’elle tentait de faire respecter la loi, a soutenu l’inspecteur Lucas. « Il y a eu beaucoup de cris », a déclaré M. Lucas.

Le témoin a rappelé un exemple où des manifestants allumaient des feux d’artifice près du Monument commémoratif de guerre du Canada. M. Lucas, qui suivait la scène sur les caméras de circulation et les fréquences de police, a alors estimé qu’il devait déployer davantage de policiers pour assurer la sécurité des agents déjà sur place.

Contre-interrogé par l’avocate de M. Barber, Diane Magas, le témoin de la Couronne a par ailleurs admis que ces situations n’avaient jamais dégénéré en actes violents.

La Couronne veut démontrer que les coaccusés Lich et Barber ont orchestré les barrages dans les rues d’Ottawa dans le but de faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il modifie sa politique relative à la COVID-19. Les coaccusés auraient ensuite encouragé leurs partisans à demeurer dans la capitale lorsque la police leur a ordonné de dégager les rues du centre-ville, selon la Couronne.

Beaucoup plus de véhicules

M. Lucas a déclaré au tribunal que la police d’Ottawa avait initialement élaboré un plan qui permettrait d’accueillir environ 2000 véhicules sur la rue Wellington, devant le parlement, et le long de plusieurs rues du centre-ville.

Au lieu de cela, plus de 5000 poids lourds sont arrivés la première fin de semaine, a déclaré l’inspecteur au tribunal. « De toute évidence, l’évènement a dépassé nos prévisions », a admis M. Lucas.

Environ les deux tiers des manifestants sont repartis après cette première fin de semaine, a-t-il dit, mais le problème pour la police était que le périmètre de la manifestation restait le même dans la capitale. De gros camions bloquaient la rue Wellington devant la colline du Parlement et se répandaient aussi dans d’autres artères du centre-ville, y compris des rues résidentielles.

Or, à ce moment-là, les ressources de la police étaient très limitées, a admis M. Lucas. Des équipes de policiers avaient tenté de négocier avec les manifestants pour dégager des voies de circulation et réduire le périmètre en déplaçant des poids lourds vers la colline du Parlement, « mais ça n’a jamais été fait », a déclaré l’inspecteur.

Il a expliqué que l’état-major avait ordonné, après la première fin de semaine, « de ne pas céder un pouce aux manifestants », ce qui rendait les négociations beaucoup plus ardues pour les policiers sur le terrain.

« Parce qu’ils n’avaient aucun pouvoir de négociation », a résumé la juge Heather Perkins-McVey.

Des poids lourds sur la colline

L’inspecteur Lucas avait offert un témoignage similaire devant la commission d’enquête fédérale sur le recours par le gouvernement libéral à la Loi sur les mesures d’urgence pendant la manifestation.

Lawrence Greenspon, l’avocat de Mme Lich, a contre-interrogé M. Lucas sur la décision initiale de la police d’Ottawa d’autoriser tous ces poids lourds à se garer devant la colline du Parlement.

« Je crois comprendre que ce plan […] était quelque chose que vous considériez, et considérez toujours, comme le meilleur moyen d’atténuer l’impact sur le cœur de la ville », a demandé Me Greenspon. M. Lucas n’a pas nié.

Plus tôt dans son témoignage, il avait déclaré que son objectif ultime était de faire respecter les droits des manifestants garantis par la Charte, tout en réduisant les perturbations pour les résidants et les entreprises locales.

En contre-interrogatoire, Me Greenspon a interrogé M. Lucas sur les négociations que Mme Lich avait eues avec la Ville pour déplacer les camions des rues résidentielles vers la rue Wellington, qui longe la colline du Parlement.

L’inspecteur a déclaré qu’il n’avait pas eu directement connaissance de ces discussions, mais il a rappelé que la police avait lancé un ultimatum le 15 février pour que les camions quittent le secteur, sous peine de faire face aux forces de l’ordre.

Mme Lich et M. Barber assistaient à l’audience depuis le premier rang de la salle, entourés d’une vingtaine de sympathisants et de membres du public.