(Ottawa) Les conservateurs fédéraux affirment que les Canadiens indignés par le transfert de Paul Bernardo dans une prison à sécurité moyenne doivent blâmer les libéraux pour une loi qu’ils ont fait adopter.

Le chef conservateur, Pierre Poilievre, évoque une loi adoptée en 2019 qui visait à mettre fin à l’isolement cellulaire (« le trou »), mais qui a aussi modifié la loi sur le système correctionnel au pays, pour stipuler qu’on devait offrir aux détenus l’environnement comportant « les restrictions les moins privatives de liberté ».

Le gouvernement libéral a ainsi renversé un changement que les conservateurs avaient apporté à cette loi sept ans plus tôt, en rétablissant, essentiellement, le libellé qui était là depuis le début de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Mais le débat sur ce libellé n’était pas nouveau non plus à l’époque. Mary Campbell, l’une des créatrices de la loi qui régit le système carcéral canadien, le sait bien. Elle se souvient qu’au cours de sa carrière de près de 30 ans, un gouvernement fédéral lui a demandé de trouver un moyen d’ajuster un peu le libellé de la loi.

« J’ai été chargée de trouver des mots autres que “restrictions les moins privatives de liberté” », a déclaré Mme Campbell, une avocate qui a pris sa retraite en 2013 de son poste de directrice générale de la direction des Services correctionnels et de la justice pénale au ministère de la Sécurité publique. « J’ai passé beaucoup de temps à consulter des dictionnaires. »

Mais quel que soit le libellé utilisé, la loi doit respecter un principe fondamental du système judiciaire, protégé par la Constitution, auquel les gouvernements ne peuvent pas échapper, dit-elle. « C’est au même niveau que le principe “innocent jusqu’à preuve du contraire”. »

Anne Kelly, la commissaire du Service correctionnel du Canada, a fait référence à plusieurs reprises au principe de « restrictions les moins privatives de liberté » dans l’examen de sa décision de transférer Bernardo d’un pénitencier à sécurité maximale en Ontario à une prison à sécurité moyenne au Québec.

PHOTO SPENCER COLBY, LA PRESSE CANADIENNE

Anne Kelly, la commissaire du Service correctionnel du Canada

Bernardo purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour l’enlèvement, l’agression sexuelle et le meurtre des adolescentes Kristen French et Leslie Mahaffy au début des années 1990. Il a aussi été désigné délinquant dangereux.

Loi de 2012

Lorsque le gouvernement libéral a modifié la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en 2019 – une loi créée par les progressistes-conservateurs de Brian Mulroney – leur ajout de l’expression « restrictions les moins privatives de liberté » visait à renverser le changement apporté par le gouvernement de Stephen Harper en 2012.

Les conservateurs respectaient alors une promesse électorale en adoptant un projet de loi sur la criminalité qui a inauguré une série de mesures sévères contre la criminalité, y compris des peines minimales obligatoires pour certaines infractions liées aux drogues, les crimes violents et les crimes commis contre les enfants.

Les détracteurs de leur projet de loi omnibus estimaient qu’il pourrait entraîner une augmentation de la population carcérale et risquait de remplir les cellules avec plus d’Autochtones et d’autres Canadiens marginalisés, tout en ne tenant pas leur promesse d’améliorer la sécurité publique – le tout à un coût plus élevé pour les contribuables.

L’un des changements apportés par le projet de loi du gouvernement Harper était d’ajuster la formulation de la loi sur le système correctionnel en évitant de dire que les responsables devraient offrir « le milieu le moins restrictif possible, compte tenu du degré de garde et de surveillance nécessaire » à la sécurité du public et à celle du pénitencier. Les conservateurs ont plutôt opté pour le libellé « restrictions nécessaires ».

Ce changement faisait suite à un examen ordonné par le gouvernement qui a conclu que le personnel pénitentiaire s’appuyait trop sur le principe du « moins restrictif possible » : on faisait valoir que les détenus devraient avoir le fardeau de la preuve s’ils voulaient obtenir des assouplissements.

« Le libellé a été légèrement modifié au fil des ans, mais il n’a jamais dévié de l’essentiel », estime Mme Campbell.

Pourtant, des groupes comme l’Association du Barreau canadien avaient prévenu devant un comité parlementaire à l’époque que la nouvelle formulation apportée par le gouvernement Harper n’était « pas assez bonne comme norme constitutionnelle ».

Howard Sapers, alors surveillant fédéral des services correctionnels, avait déclaré aux députés que le changement était préoccupant, étant donné qu’il s’agissait de « l’une des règles d’or des services correctionnels ». Il a déclaré que son bureau s’appuyait sur le principe pour enquêter sur « certaines des pratiques les plus invasives dans les services correctionnels » : des détenus physiquement retenus et séparés selon leurs classifications de sécurité.

Retour à la version originale

Lorsque les libéraux ont revisité la loi en 2019 pour régler la question de l’isolement cellulaire, ils ont rétabli essentiellement le libellé original, une réforme saluée par l’Association du barreau.

L’organisme Services juridiques des prisonniers, en Colombie-Britannique, a également salué cette décision, soulignant que des détenus étaient inutilement gardés dans leurs cellules jusqu’à 23 heures par jour.

Depuis qu’il a été élu à la direction du Parti conservateur, l’automne dernier, Pierre Poilievre a mis l’accent sur la criminalité, montrant du doigt les libéraux pour leur mollesse face aux délinquants, à un moment où les Canadiens s’inquiètent de cet enjeu. Il a saisi le transfert de Bernardo pour illustrer cette tendance libérale.

Mais bien que le libellé de la loi ait changé au fil du temps, Mme Campbell soutient que le principe qui est au cœur de la loi n’a pas changé – et ce principe a joué un rôle dans le transfert de Bernardo.

« Les conservateurs ont tout à fait raison : bien sûr que cela a contribué au transfert de M. Bernardo, car c’est un principe qui sous-tend toutes les décisions. Pas le seul principe, mais un principe fondamental : celui qui veut que les gens ne doivent pas être soumis à des mesures privatives de liberté ou punitives ou de contrôle au-delà de ce qui est nécessaire pour la sécurité publique », a-t-elle expliqué.

Le réexamen de la décision de transférer Bernardo a indiqué qu’au cours des dernières années, son comportement l’avait qualifié plus d’une douzaine de fois pour une classification de sécurité moindre.

Mais si ses demandes d’être transféré dans une prison à sécurité moyenne ont été refusées à plusieurs reprises, c’est surtout parce qu’il ne s’était pas pleinement intégré aux autres détenus de son établissement à sécurité maximale, indique le rapport. Une fois ce problème résolu, le transfert a eu lieu.

Tim Danson, l’avocat représentant les familles Mahaffy et French, a déclaré que le principe « le moins restrictif possible » est conçu pour être appliqué dans la majorité des cas. Mais un « raffinement législatif » serait utile pour les délinquants les plus dangereux, comme Bernardo, estime l’avocat.