L’ancien tueur à gages Frédérick Silva a donné au moins un contrat de meurtre alors qu’il était en prison, 18 mois avant de devenir collaborateur de police l’été dernier.

Ce meurtre est celui de Frantz Louis, un membre de gang tué par balle dans sa voiture, près de chez lui, rue Fabre, dans le quartier Villeray à Montréal, le 19 novembre 2020.

C’est ce que l’on apprend dans une déclaration de Frédérick Silva déposée durant une procédure entamée par les meurtriers de Louis, que La Presse a obtenue après s’être adressée à la Cour.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Scène du meurtre de Frantz Louis, rue Fabre, le 19 novembre 2020

Frédérick Silva, qui a été tueur à gages pour plusieurs factions du crime organisé, purge une peine de prison à vie pour trois meurtres survenus à l’automne 2018.

Il a commis ces crimes alors qu’il était activement recherché par la police, avant d’être arrêté après deux ans de cavale en février 2019.

Durant l’été 2022, Silva a retourné sa veste et est actuellement au cœur d’une importante enquête du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et de la Sûreté du Québec (SQ).

Celle-ci porte sur plusieurs homicides – et autres contrats – commis ces dernières années et pourrait bouleverser l’échiquier actuel du crime organisé montréalais.

Après son arrestation en février 2019, Silva était incarcéré au Centre de détention de Montréal (Bordeaux) et possédait illégalement un téléphone cellulaire. Il a admis avoir alors donné de la prison au moins un contrat de meurtre, celui de Frantz Louis, alias Grand Frère.

Un contrat de 100 000 $

À un enquêteur du SPVM qui l’a interrogé durant un interrogatoire filmé, Silva dit avoir communiqué, par l’entremise d’un système de communication crypté, avec Sacha Nelson César, surnommé Kash, en novembre 2020, pour lui donner le contrat d’abattre Frantz Louis contre une somme de 100 000 $.

Silva a dit avoir reçu d’une personne inconnue l’adresse et la marque de la voiture de Frantz Louis et avoir donné ces informations à Nelson César. Il a également précisé à ce dernier que Louis était un lève-tôt et qu’il suivait un horaire.

« C’est réglé à 90 %. Ce sera fait par mes jeunes », a dit Nelson César à Silva.

Envoyer un message

Frédérick Silva raconte aussi avoir fourni deux armes à feu à Nelson César qui devaient servir pour le meurtre : un fusil d’assaut AR-15 ou M-4 et un pistolet, au cas où la première arme « jamme ».

« Pourquoi tu voulais que ce soit fait avec une arme d’assaut ? », lui demande le policier qui l’interroge.

« Parce que je voulais que ce soit un gros message dans le milieu », répond Silva.

« Tu n’avais pas peur d’avoir des victimes innocentes ? », renchérit l’enquêteur.

« Non, parce que c’était dans sa voiture. Je me disais que si le gars travaille bien, y’est pas supposé toucher personne d’autre. C’est un secteur résidentiel, mais si le gars tire dans sa voiture, d’habitude, les balles, y sortent pas de la voiture. »

PHOTO DÉPOSÉE EN COUR

Frantz Louis se trouvait dans son véhicule de marque BMW lorsqu’un individu s’est approché et a tiré à plusieurs reprises dans la vitre de la portière du conducteur.

« Est-ce que Kash a utilisé ces armes ? », poursuit le policier.

J’y avais dit : “Tire le gars pis jette-la [l’arme], je veux la voir aux nouvelles.” Je voulais qu’elle soit juste à côté de l’auto, mais je l’ai pas vue. Est-ce qu’il l’a utilisée ? Je ne sais pas.

Frédérick Silva, ancien tueur à gages

« Dans le milieu, c’est quoi l’impact de tuer quelqu’un avec une arme longue plutôt qu’un pistolet ? », demande encore l’enquêteur.

« Tu t’attaques à des tueurs, fait que là, tu vas à un niveau plus élevé. [Ça démontre que] tu as une méchante bonne équipe de te promener avec ça. Fait que j’trouve que ça les aurait plus shakés », explique Silva au policier, tout en lui décrivant le fusil d’assaut qu’il a fait livrer à Nelson César.

« On veut fermer ça là »

Le 19 novembre 2020, Silva regarde les nouvelles télévisées en prison et apprend qu’un homme a été tué par balle rue Fabre. Il communique avec Kash pour lui faire part de sa satisfaction, mais ne lui pose pas de questions, notamment sur l’arme utilisée.

« Pourquoi vous ne posez pas ces questions-là ? », interroge l’enquêteur.

« Parce qu’on veut fermer ça là. »

Jusqu’à temps qu’on arrive au péyage [paiement], on essaie de moins en moins d’en parler. On parle de meurtre, là. Après que c’est payé, on change de téléphones, on jette tous nos téléphones.

Frédérick Silva, ancien tueur à gages

Silva ajoute avoir envoyé les 100 000 $ à Nelson César rapidement après le crime.

Mais le lendemain, rebondissement spectaculaire : la police annonce que l’un des présumés meurtriers est arrêté.

Visiblement mécontent, Silva communique aussitôt avec Nelson César pour lui demander des explications.

Kash explique que « c’est le gars de son gars » qui a été arrêté et rassure Silva sur le fait que le tireur, lui, est « correct ».

« C’est à toi de ne pas te faire pogner »

Silva offre à Nelson César de verser une somme de départ pour payer l’avocat du suspect arrêté, sans lui donner un nom de criminaliste, mais ajoute qu’il n’est pas question pour lui de financer la suite des procédures.

Kash répond qu’il n’osait pas lui demander, qu’il est reconnaissant et lui demande 15 000 $.

« J’aimerais que l’on pense : “Regarde, j’vais t’aider pis chu là pour toi.” C’est un peu ça le but. Pis moi, c’est ça que j’ai toute changé, la mentalité à faire ça. J’veux que mon monde soit toujours content », explique Silva au policier qui lui demande pourquoi il a offert à Nelson César de payer l’avocat du suspect au départ, mais pas pour le reste des procédures.

« Parce que ce n’est pas mon gars direct. C’est l’équipe d’un ami », répond l’ancien tueur à gages.

« Comme un sous-traitant ? »

« Exactement. Par respect, je lui ai offert [de payer 15 000 $]. [Le reste] ce serait à lui de payer, c’est son équipe. T’as été payé, c’est à toi de ne pas te faire pogner », développe Frédérick Silva.

Mobile flou

Le mobile du meurtre de Frantz Louis n’est pas clair lorsqu’on lit les déclarations de Silva.

PHOTO FOURNIE PAR LE SPVM

Frantz Louis peu après son arrestation dans une affaire de prêt usuraire et d’extorsion en juillet 2020

Il est vaguement question de groupes ou d’une alliance avec ou pour lesquels Frantz Louis aurait travaillé, ou d’individus avec lesquels il aurait été associé.

Lorsqu’il a été tué, Louis avait toujours, devant les tribunaux, une cause active de prêt usuraire et d’extorsion pour le compte d’un acteur important de la mafia montréalaise.

Sacha Nelson César a été assassiné à son tour 12 jours après Frantz Louis, à Laval. Le mobile est toujours inconnu.

Emanuell Hunte Roberts et Andrew Thomas Labrèche ont été reconnus coupables du meurtre prémédité de Frantz Louis par un jury en mai dernier et condamnés à la prison à vie sans admissibilité à une libération conditionnelle avant 25 ans.

Labrèche conteste toutefois la constitutionnalité de la peine obligatoire pour un meurtre prémédité.

L’arme utilisée pour tuer Frantz Louis n’était pas l’une de celles livrées par Frédérick Silva à Sacha Nelson César.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.