La justice vient de bloquer les vacances à Bahreïn d’une Montréalaise et de ses enfants après avoir appris que la mère échangeait des courriels « hautement inquiétants » avec un imam radical.

La femme a envoyé « des dizaines de milliers de dollars » au religieux, avec lequel elle discutait d’armes à feu de type militaire. Elle a aussi suivi des cours de maniement d’armes à feu.

« Les circonstances militent pour un excès de prudence. […] Il n’y a pas urgence à ce que les enfants partent [à] Bahreïn cet été », a écrit le juge André Wery, dans une décision rendue publique cette semaine, en interdisant à la femme d’effectuer le voyage.

L’intérêt inopiné de madame pour les armes à feu n’a probablement rien à voir avec une fascination soudaine pour la chasse.

Extrait de la décision du juge André Wery

« Si le voyage de madame [à] Bahreïn avec les enfants était autorisé, celle-ci pourrait décider d’y rester avec les enfants pour rejoindre son Imam, a continué le juge. Or, le Tribunal estime que l’intérêt des enfants le contraint à ne pas courir ce risque. » Bahreïn n’est pas signataire des conventions internationales qui facilitent le retour des enfants déplacés illégalement.

Intérêt pour les armes de « sniper »

C’est le père de famille, en instance de divorce, qui a alerté la justice face à la possibilité que sa femme constitue « une cellule dormante » et que le voyage serve à des fins de radicalisation. Il a fourni des copies de nombreux courriels entre l’imam et sa femme.

« Dans un état de chaos, partout, les armes sont plus importantes que toute autre chose », lui a écrit le religieux en mai 2021. « Je vais voir si je pourrai m’entraîner cet été », répond-elle. « Vous m’avez rendue enthousiaste, Maître. »

Le juge Wery relève que l’imam indique ne pas s’intéresser aux armes de chasse, mais plutôt aux armes de « sniper », « qu’il est interdit de vendre à quiconque ». « La conversation se poursuit sur les différents types d’armes à feu, sur les munitions, sur les distances de tir, et même sur des silencieux pour ces armes », explique le juge.

Ces échanges n’ont pas de quoi rassurer et le Tribunal a clairement exprimé cette inquiétude.

Extrait de la décision du juge André Wery

La mère de famille est elle-même originaire de Bahreïn.

En salle d’audience, elle n’a pas voulu s’expliquer verbalement sur la teneur des messages, souligne le juge Wery. Dans une déclaration écrite, « madame reconnaît avoir suivi des cours de maniement d’armes à feu », mais elle écrit que c’est « complètement autorisé par le gouvernement » et que c’est pour apprendre « le tir à chasse ».

« Ce sont là des explications qui laissent le Tribunal sur son appétit », a-t-il ajouté.

« Minable esclave »

Le magistrat s’inquiète aussi d’autres messages échangés entre les deux individus, qui ont fait l’objet d’une traduction vers le français, dans lesquels l’imam affirme que la Terre est plate et que l’enseignement scolaire doit être rejeté. « Vous m’êtes plus cher que ma personne, ma famille, mes parents, mes enfants et tout le monde », lui a écrit la femme, qui s’est décrite comme sa « minable esclave ».

Le couple a trois enfants, dont un majeur. C’est la capacité de la mère d’emmener les deux autres en voyage qui était au cœur du conflit.

« Le Tribunal est conscient que X et Y aimeraient aller voir la famille de leur mère cet été [à] Bahreïn et qu’elles voient dans le refus de leur père une nouvelle façon de contrôler leur vie. Ce jugement les décevra, a écrit le juge Wery. Mais à la lumière de la nature de certains des échanges de leur mère avec son Imam, le Tribunal estime qu’il existe des risques pour elles associés à ce voyage. »

Dans ses procédures de divorce, la mère de famille a accusé son mari de divers incidents de violence conjugale, ainsi que de violence physique et psychologique envers les enfants.

L’identité de l’ensemble des membres de la famille est protégée, puisque cette demande s’inscrit dans le contexte d’une procédure de divorce. L’identité de l’imam a aussi été anonymisée. Celui-ci demeurerait en Suède, « mais rien n’empêcherait que celui-ci aille la rejoindre [à] Bahreïn ou dans un autre pays de la région », souligne la Cour supérieure.

Bahreïn est une petite monarchie insulaire du golfe Persique. Elle compte moins de deux millions d’habitants et son économie est intimement liée au pétrole.

MNadine Marchi, MRosalie Larouche et MIbtissem Maalaoui, les trois avocates au dossier, n’ont pas rappelé La Presse.