Une société de Laval, ayant vraisemblablement comme couverture la vente de lingettes et de couches pour bébé, pourrait avoir servi à importer en réalité des milliers de kilogrammes de cocaïne à Montréal et au Québec durant deux ans.

C’est du moins ce que laissent planer des documents judiciaires de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) que La Presse a obtenus et qui nous apprennent que les polices fédérales des États-Unis et du Canada enquêtent sur une saisie effectuée au Texas, en août 2022, de 700 kilogrammes de cocaïne qui étaient destinés à Montréal et dont l’interception n’a jamais fait les manchettes ici.

La drogue, dissimulée dans des boîtes de lingettes pour bébé fabriquées et importées du Mexique, et transportée dans un camion semi-remorque, a été interceptée par hasard, lors d’une seconde inspection réalisée par les douaniers américains sur le pont Colombia-Solidarity, à Laredo.

PHOTO PUBLIÉE DANS UN DOCUMENT JUDICIAIRE

Les kilogrammes de cocaïne étaient dissimulés dans les boîtes de lingettes pour bébé fabriquées au Mexique.

Il y avait 26 palettes de lingettes dans la remorque, dont 12 supportant des boîtes contenant de la cocaïne.

Dans les jours suivant la saisie, les autorités des États-Unis ont publié un communiqué indiquant que la drogue était évaluée à 11 millions américains dans la rue.

L’annonce ne faisait pas mention de Montréal, car c’est vraisemblablement en poussant leur enquête que les policiers américains ont ensuite appris que la drogue devait aller dans la métropole.

12 importations en deux ans

Selon les documents judiciaires, les lingettes pour bébé ont été importées par l’entreprise Les produits AJ, dont l’adresse se trouve avenue Eliot, à Laval.

Au moment des faits, son président était un certain Peterson Suffrard, 35 ans. Auparavant, l’entreprise était dirigée par Alyssa James selon une recherche au Registraire des entreprises.

On comprend, selon les documents, que l’entreprise, qui n’était pas active avant 2020, a commencé à s’animer à compter du milieu de l’année.

Toujours d’après les documents judiciaires, Les produits AJ ont commandé 12 importations de lingettes pour bébé et d’autres produits d’hygiène du Mexique entre le 24 août 2020 et le 8 juin 2022, toujours en faisant affaire avec les mêmes entreprises de fourniture, de transport et de courtage. La 13importation est celle interceptée en août 2022 à Laredo, au Texas.

Le compte commercial de la société Les produits AJ a été ouvert le 9 juillet 2020, six semaines avant la première importation.

Marchandise abandonnée

Après avoir été mis au courant de la saisie et des résultats préliminaires de leur enquête par leurs homologues américains, les enquêteurs de la Division C (Québec) de la GRC ont découvert 233 palettes de lingettes et de couches pour bébé dans deux entrepôts de la rue Chabanel et 14 autres dans un bâtiment de la 55Avenue à Dorval.

Les produits trouvés rue Chabanel, dont l’affichage était toujours en espagnol, n’étaient pas mûrs pour la vente.

« Le maître-chien n’a pas détecté la présence de stupéfiants. Dans une suite, des boîtes de carton neuves, du ruban adhésif industriel, des rouleaux de pellicule plastique, des gants de protection et deux couteaux à lame rétractable furent observés. Je crois que les objets trouvés dans la suite étaient utilisés pour ouvrir les boîtes de lingettes et de couches, prendre les stupéfiants [s’y] trouvant, et les emballer dans de nouvelles boîtes pour les transporter à un autre endroit », écrit le policier qui a rédigé une déclaration sous serment en soutien aux documents judiciaires.

« À noter que les 233 palettes de lingettes et de couches pour bébé étaient pleines de boîtes, et représentent une grande perte. Ces produits ont été abandonnés dans les entrepôts par la compagnie Les produits AJ », poursuit le policier.

Les enquêteurs ont interrogé le responsable d’une société montréalaise légale qui a déclaré avoir transporté et entreposé 364 palettes de lingettes pour Les produits AJ entre septembre et juin 2022.

La GRC n’exclut pas que des centaines de kilogrammes de cocaïne soient ainsi entrés à Montréal depuis 2020.

En raison des quantités impliquées, on pourrait penser que c’est une ou des organisations criminelles établies qui sont derrière la tentative d’importation de 700 kilogrammes.

Un prête-nom

Selon les documents, Peterson Suffrard a été arrêté le 16 février dernier et rencontré par les policiers de la GRC.

L’homme, qui aurait un dossier actif de la police d’Ottawa pour une affaire de fraude, a déclaré qu’il a été recruté par un inconnu en tant que prête-nom pour l’entreprise qui a importé les lingettes, qu’il a uniquement pris part aux opérations bancaires de la société, qu’à la demande de l’inconnu, il a ouvert un compte et effectué des dépôts et des transferts bancaires, et qu’il a reçu environ 15 000 $ pour ses services.

M. Suffrard n’est pas accusé dans cette affaire. Les éléments contenus dans les documents judiciaires, quoique publics, n’ont pas été testés devant les tribunaux.

Simultanément à l’enquête de la GRC, plusieurs agences fédérales américaines continuent également d’enquêter sur les 700 kilogrammes interceptés à Laredo.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.