Le centre de détention de Sainte-Anne-des-Plaines offrira des aménagements autochtones à sa population

Des travaux d’aménagements autochtones de 6,1 millions, comprenant notamment une maison longue et une tente traditionnelle, sont en cours au pénitencier Archambault de Sainte-Anne-des-Plaines. Encore des millions gaspillés, selon l’enquêteur correctionnel Ivan Zinger, qui croit que l’argent devrait plutôt être investi autrement pour aider véritablement ­­­les Autochtones.

C’est par un formulaire de santé et de sécurité du travail de la CNESST que La Presse a été informée des travaux en cours au pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines. Il y est indiqué simplement qu’il s’agit d’un nouveau bâtiment de 440 m⁠2 et que la construction, entreprise en mai, prendra un an.

Des informations complémentaires ont été demandées à Service correctionnel Canada.

« Il est notamment prévu d’adapter et de construire de nouveaux locaux répondant davantage aux besoins culturels de la clientèle autochtone permettant ainsi la tenue de cérémonies ou d’activités culturelles additionnelles », écrit Jean-François Mathieu, gestionnaire des communications pour le Québec.

Une des priorités organisationnelles de Service correctionnel Canada est d’assurer la prestation d’interventions efficaces et adaptées à la culture des délinquants autochtones pour faciliter leur réinsertion sociale.

Jean-François Mathieu, gestionnaire régional des communications, Service correctionnel Canada

Combien y a-t-il de détenus autochtones à Archambault présentement ? M. Mathieu indique que l’établissement « assure la garde d’environ 140 détenus autochtones (secteurs médium, minimum et Centre de guérison Waseskun) ». Il ajoute que l’endroit est désigné comme étant un « Centre d’interventions autochtones » pour le Québec.

M. Mathieu ajoute que son service met aussi « activement en place » d’autres mesures, « comme l’embauche de personnel autochtone, l’adaptation de [ses] installations physiques, l’embauche d’aînés ou porteurs de culture, le maintien et le développement de [ses] partenariats autochtones externes ».

De telles embauches étaient déjà faites en 2019 et ont été l’objet d’une enquête dans La Presse. Il y était question d’aînés autodéclarés qui obtenaient de lucratifs contrats dans les pénitenciers, alors qu’ils n’étaient pas reconnus par une communauté autochtone. La Presse relatait également que des centaines de criminels québécois s’autodéclaraient eux aussi Autochtones pour bénéficier de certains avantages, comme une réévaluation plus rapide de leur cote de sécurité.

Des indicateurs qui empirent

Au-delà de ces questions, il reste le problème fondamental de la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers, rappelle Ivan Zinger. « Ils représentent 32 % [des détenus dans les] pénitenciers, alors que les Autochtones comptent pour 5 % de la population canadienne », fait-il observer, relevant que la moitié des femmes dans les pénitenciers sont autochtones.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’enquêteur correctionnel du Canada Ivan Zinger

Au Canada, on compte 4100 détenus autochtones dans les pénitenciers, et cela fait des années que le gouvernement canadien dépense des millions dans ses programmes culturels pour Autochtones, et ce, « sans résultat » sur les indicateurs liés à ces populations, fait valoir M. Zinger.

En fait, dit-il, ça empire. Les taux de récidive sont beaucoup plus élevés parmi les détenus autochtones, tout comme les tentatives de suicide et l’automutilation. Ils sont aussi surreprésentés dans les unités d’isolement préventif, ils sont assujettis plus souvent à l’usage de la force, se retrouvent dans des établissements à sécurité plus élevée et leurs peines sont plus longues, énumère M. Zinger.

Il poursuit en disant que le genre d’aménagements culturels tel que celui qui est en cours à Sainte-Anne-des-Plaines « est contraire aux recommandations » qu’il fait depuis plusieurs années dans ses rapports.

Dans son plus récent rapport annuel, M. Zinger écrivait : « L’utilisation des antécédents sociaux des autochtones dans le processus décisionnel continue d’être aussi incohérente et superficielle » qu’il y a 10 ans.

M. Zinger estime que beaucoup des sommes investies dans les pénitenciers devraient plutôt être redirigées dans les communautés autochtones pour lutter contre la délinquance. Aussi, comme les pénitenciers n’arrivent pas à améliorer leurs indicateurs les concernant, « on doit privilégier le transfert de délinquants vers des centres de ressourcement gérés par les autochtones » quand cela est possible.

Ces centres – qui comprennent des appartements – ont été créés au fil des ans en raison des préoccupations des Autochtones, selon qui « les programmes offerts dans les établissements fédéraux réguliers ne fonctionnent pas pour les délinquants autochtones », peut-on d’ailleurs lire sur le site de Service correctionnel Canada.

Il existe dix de ces centres au Canada. Six sont gérés par des communautés ou des organismes autochtones, et quatre par les services correctionnels eux-mêmes. Selon M. Zinger, le nombre de places dans ces centres demeure insuffisant.

Avant de transférer des détenus dans de tels pavillons, Service correctionnel Canada dit évaluer d’abord « de façon approfondie le risque que ce délinquant présente pour la sécurité du public ».

Des plans de vie individuels très centrés sur les besoins des Autochtones sont, par exemple, élaborés dans ces centres très axés sur la guérison et la spiritualité autochtones.

Jointe en début de semaine, l’Assemblée des Premières Nations (dont de nombreux membres sont aux prises avec des incendies de forêt) n’a pas été en mesure d’offrir ses commentaires sur les nouveaux aménagements à Archambault.

Avec William Leclerc, La Presse