« Félix-Antoine n’aurait jamais dû mourir ce jour-là » C’est le cri du cœur qu’a lancé mardi la mère du jeune motocycliste tué en 2019 par un chauffard qui voulait contourner des canards. Si la Couronne demande 8 mois de prison ferme, la défense réclame seulement six mois de prison à domicile.

Les proches de Félix-Antoine Gagné ont livré des témoignages bouleversants mardi lors des audiences pour déterminer l’imposition de la peine d’Éric Rondeau au palais de justice de Joliette. L’homme de 48 ans a été reconnu coupable par un jury de conduite dangereuse causant la mort, en janvier dernier. Il a porté le verdict en appel.

« Depuis cette tragédie, j’ai le cœur en morceaux. Même si on est en 2023, la douleur ne s’est pas estompée et ne va jamais s’estomper. Il avait la vie devant lui. Je n’aurais jamais le plaisir de voir le bel adulte qu’il serait devenu et celui de devenir grand-mère », a confié à la cour Linda Poulette. La mère du garçon de 19 ans a décrit son fils comme un homme « intelligent, poli, coquin [et qui] adorait faire rire les gens autour de lui ».

Le 22 juillet 2019, Éric Rondeau s’est arrêté dans un virage sur la route 345, près de Joliette, afin de laisser une famille de canards traverser la chaussée. Quelques secondes plus tard, il a décidé de contourner les oiseaux en roulant dans la voie inverse.

Or, son Ford F-150, qui traînait une remorque de ponton, s’est retrouvé complètement à contresens, alors qu’il circulait à très basse vitesse. C’est à ce moment que Félix-Antoine Gagné est arrivé dans l’autre direction. En raison de la configuration de la route, le jeune motocycliste a réalisé trop tard qu’un véhicule se trouvait dans sa voie.

La thèse du simple accident soulevé par la défense n’a pas été retenue par le jury. Éric Rondeau faisait valoir qu’il avait fixé son rétroviseur arrière pendant toute la manœuvre de contournement des canards par crainte d’être embouti par un véhicule derrière lui.

L’avocat de la défense a tout fait mardi pour minimiser le geste commis par son client. « On s’approche beaucoup, beaucoup de l’accident. De l’accident pur et simple. Ce qui reste, c’est strictement l’erreur qu’il a commise de s’avancer pour éviter les canards. On est très, très près de l’accident », a insisté MRichard Dubé.

Au contraire, il ne s’agit ni d’une « simple erreur de jugement » ni d’une « simple inattention », mais d’une manœuvre « dangereuse », a soutenu le procureur de la Couronne, MAlexandre Dubois. « C’est une grave erreur de jugement qu’on a décidé de criminaliser », a répliqué le juge Marc-André Blanchard.

Le ministère public demande une peine de 8 mois de détention, mais surtout une interdiction de conduite de cinq ans, ce qui est particulièrement élevé. En pareille matière, les peines se situent généralement entre 12 et 36 mois. Cette « fourchette de peine » est même appelée à augmenter, puisque depuis 2018, la peine maximale pour ce crime est passée de 14 ans à l’emprisonnement à vie.

« Le message peut difficilement être plus clair. Le législateur voulait que les peines soient augmentées. Mais je ne vous plaiderais pas que M. Rondeau est un bandit de grand chemin. Il n’a pas d’antécédent. C’est littéralement Monsieur, Madame Tout le monde qui conduisait et qui a fait une erreur de jugement qui s’est avérée criminelle », a plaidé MDubois.

Le seul facteur aggravant, selon la Poursuite, est le fait que l’accusé conduisait un « gros véhicule », une circonstance aggravante inscrite au Code criminel. Avec la remorque qu’il traînait, le convoi Éric Rondeau mesurait 15,7 mètres de long, a fait valoir le procureur.

Mais pour la défense, il ne s’agit pas d’un « gros véhicule », mais plutôt d’un « grand » ou un « long » véhicule. Le juge devra trancher cet important débat sémantique. « Le législateur a dit “gros”. Personne ne l’a défini. Je vais m’y astreindre, et on verra le résultat », a tranché le juge.

PHOTO DÉPOSÉE EN PREUVE

Le convoi d’Éric Rondeau mesurait plus de 15 mètres.

Une nouvelle loi adoptée par le gouvernement fédéral (C-5) – qui visait à s’attaquer à la représentation disproportionnée des Autochtones et des Noirs en prison – a récemment ouvert la porte à l’imposition d’une peine de prison à domicile (avec sursis) pour l’infraction de conduite dangereuse causant la mort. C’est pourquoi la défense demande une peine de 6 mois avec sursis.

« Ce serait d’une extrême clémence », a répliqué MDubois, en insistant sur le fait que le sursis devrait être accordé « exceptionnellement ».

Le juge rendra sa décision fin mai.