Si l’affaire n’a pas de « lien direct » avec la fermeture du chemin Roxham, la mort de plusieurs migrants à Akwesasne illustre toutefois le fait que l’augmentation des mesures de contrôle aux frontières risque de « créer encore plus de décès », craignent des spécialistes et le réseau communautaire.

« C’est sûr qu’on ne peut pas faire le lien causal direct avec Roxham dans ce cas-ci, comme les personnes allaient vers les États-Unis. Mais en général, on sait que l’augmentation des contrôles frontaliers et des mesures de dissuasion a comme effet que les gens empruntent des chemins plus dangereux avec des passeurs et des réseaux criminels », explique la titulaire de la Chaire de recherche sur l’immigration de l’Université Concordia, Mireille Paquet.

Elle soutient que le resserrement des mesures aux frontières, comme la fermeture du chemin Roxham la semaine dernière, « augmente bien souvent le nombre de morts et de blessés » parmi les migrants.

C’est documenté : ces gens-là ne peuvent alors faire autrement que d’emprunter des bateaux, des chemins mal éclairés, des caps, des tunnels, bref, des avenues de travers.

Mireille Paquet, titulaire de la Chaire de recherche sur l’immigration de l’Université Concordia

Le professeur spécialisé en immigration régionale et en mobilisation citoyenne Chedly Belkhodja abonde aussi en ce sens. « C’est vraiment malheureux que tout ça arrive une semaine après la large médiatisation autour de Roxham, mais ces gens ne seraient pas passés par là de toute façon », précise-t-il d’emblée.

Cela dit, « la crainte maintenant, c’est de voir apparaître des passages encore plus risqués organisés par des gens qui sont prêts à prendre des gens sur des bateaux ». « Cette réalité-là, elle existe depuis longtemps, surtout dans cette région, mais avec tout ce qui se passe présentement, c’est possible que ça augmente d’un cran, qu’on voie des gens qui sont littéralement prêts à tout », poursuit M. Belkhodja.

Des intervenants « très inquiets »

Aux yeux du porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut, Frantz André, la mort de ces migrants — ils étaient au moins huit en fin de journée vendredi dont le décès avait été confirmé — est « très inquiétante ». « Pour nous, c’est quelque chose qui était prévisible, et on n’était pas les seuls à le dire. Que ça arrive à peine quelques jours après le chemin Roxham, ça, par contre, on ne s’y attendait pas. C’est vraiment inquiétant », lance M. André.

Il dit percevoir depuis quelques jours une « détresse extrême » chez plusieurs personnes migrantes, qui le contactent en quête de réponses.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Des migrants arrivent au chemin Roxham le 25 mars dernier, quelques heures après sa fermeture.

« Aux États-Unis, c’est devenu trop cher pour plusieurs, et d’autres craignent carrément d’être déportés. Ces gens-là sont laissés à eux-mêmes, sans réponses. C’est certain que ce qu’on voit aujourd’hui, ça va se reproduire demain », se désole M. André, visiblement affecté par la nouvelle.

Je ne veux pas être annonceur de mauvais présages, mais ça va arriver encore. On ne pensait juste pas que ça se ferait aussi rapidement.

Frantz André, porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut

Il qualifie d’ailleurs de « décision arbitraire » l’entente intervenue la semaine dernière entre Ottawa et Washington pour fermer le chemin Roxham.

Au collectif Soignons la justice sociale, la médecin Nazila Bettache affirme aussi que « ces décès étaient prévisibles ». « Tout comme les morts à la frontière mexicano-américaine, tout comme les morts en Méditerranée, ces morts sont le résultat d’un système conçu pour mettre en danger des personnes qui, tout le monde le sait, ne cesseront pas et ne pourront pas cesser de venir », a-t-elle insisté vendredi.

« Nous savons toutes et tous qu’un nombre encore plus important de personnes mourront à la suite de la récente extension de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Cette extension est censée rendre les migrants invisibles aux yeux des citoyens d’ici. Mais nous ne serons pas invisibles. Nos vies et nos morts sont importantes », a de son côté fait valoir la porte-parole de Solidarité sans frontières, Hady Anne.

Sa collègue Samira Jasmin a de son côté fait valoir durant la journée de vendredi que « rien ne vient par hasard ». « Ces politiques d’immigration mettent les vies des humains en danger ! On traverse la frontière pour un monde meilleur, et on se retrouve face à la mort. »

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