Le propriétaire de l’édifice patrimonial ravagé par l’incendie funeste de jeudi sur la place d’Youville jure avoir inspecté presque quotidiennement ses immeubles pour éliminer tout risque d’incendie, mais dit avoir eu du fil à retordre avec la sous-location de ses appartements sur Airbnb. Un entrepreneur qui sous-louait illégalement certains logements incendiés s’était par ailleurs dit surpris de la quantité d’argent gagné grâce à la populaire plateforme.

L’avocat Émile Benamor, qui possède l’immeuble incendié où plusieurs personnes manquent à l’appel, a témoigné le 15 décembre dernier à la cour municipale de Montréal, dans un dossier qui l’opposait aux pompiers de Montréal. Des inspecteurs du Service de sécurité incendie s’étaient rendus dans un autre de ses immeubles, rue Notre-Dame, près de l’hôtel de ville, quelques mois plus tôt. En voulant tester un escalier de secours rétractable, l’un d’eux était tombé et s’était cassé une cheville. Un constat d’infraction avait été donné au propriétaire pour avoir maintenu une sortie de secours en mauvais état.

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Émile Benamor, en 2014

Dans un témoignage sous serment devant la juge Cathy Noseworthy, MBenamor avait assuré tout faire pour réduire les risques d’incendie. « J’ai mes responsabilités comme propriétaire et je prends mes responsabilités très au sérieux. Ce sont des immeubles historiques dont je prends beaucoup soin », l’entend-on marteler sur l’enregistrement de l’audience, consulté par La Presse au tribunal.

« Moi, je commence ma journée à 6 h 30 dans mes immeubles, parce que j’en ai une quinzaine à vérifier », avait-il expliqué, en soulignant que l’immeuble visité par les inspecteurs était « identique » à son autre propriété sur la place d’Youville – celle qui allait brûler trois mois plus tard.

« Je visite mes immeubles tous les jours », avait-il répété plusieurs fois à la juge.

« On vérifie qu’il n’y a pas de cigarettes laissées là, pas d’eau qui coule. Je le fais tous les jours entre 6 h 30 et 7 h 30. La fin de semaine, je me repose, mais la semaine, je passe. »

On passe par toutes les sorties d’urgence pour vérifier qu’elles ne sont pas bloquées, que les gens pourraient sortir, que les portes ne sont pas verrouillées. Je prends tous les moyens nécessaires.

Émile Benamor, dans un témoignage sous serment devant la juge Cathy Noseworthy

MBenamor avait expliqué devant la cour qu’il conservait son titre d’avocat, mais qu’il avait pratiquement cessé la pratique du droit. « Je m’occupe juste de mes immeubles », disait-il.

Dans ce dossier, les pompiers qui avaient inspecté son immeuble de la rue Notre-Dame s’y étaient rendus en raison de soupçons quant à la présence d’une maison de chambres clandestine. Or, il s’agissait plutôt d’un organisme à but non lucratif qui faisait de l’hébergement, avait plaidé le propriétaire. « Ils ont un permis, ils peuvent opérer », disait-il.

La juge avait acquitté Émile Benamor et annulé le constat d’infraction, après avoir constaté qu’il avait rapidement réparé l’escalier de secours non fonctionnel.

MBenamor a refusé d’accorder une entrevue pour discuter de la tragédie de jeudi. L’avocat qui représente ses intérêts, MAlexandre Bergevin, a toutefois assuré qu’il collaborait à l’enquête policière.

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Le sol instable et le risque d’effondrement rendent les fouilles manuelles trop dangereuses pour les intervenants. C’est pourquoi un drone et des nacelles sont utilisés dans cette opération.

Au sujet de l’aménagement intérieur inusité de certains appartements, notamment une unité sans fenêtres vers l’extérieur, où seraient mortes deux personnes qui avaient téléphoné au 911 et s’étaient dites incapables de sortir, MBergevin souligne que l’immeuble avait cette configuration lorsqu’il a été acheté et que les autorités n’ont jamais fait de reproches à cet égard.

Cité comme un exemple de succès sur Airbnb

MBergevin souligne que des locataires de l’immeuble incendié sous-louaient illégalement des logements pour des séjours à court terme sur Airbnb. « Des mesures étaient prises pour y mettre fin », assure-t-il.

Selon les recherches de La Presse, un entrepreneur qui louait plusieurs unités dans l’immeuble afin de les sous-louer sur les plateformes web pour de l’hébergement à court terme se nomme Tariq Hasan, propriétaire de l’entreprise d’hébergement Avenoir Inc., dont certaines des annonces sont toujours visibles en ligne. La Ville de Montréal lui avait d’ailleurs imposé un constat d’infraction à cette adresse en lien avec la présence d’ordures l’an dernier, selon les registres de la cour municipale.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Tariq Hasan

Questionné sur le fait que le propriétaire ait laissé un entrepreneur louer en même temps plusieurs appartements dans l’immeuble, MBergevin a reconnu que celui-ci avait permis à un locataire de sous-louer certains logements pour des locations d’un mois ou plus, ce qui est permis par la réglementation municipale. Il aurait toutefois tenté de se débarrasser de ce locataire lorsqu’il a compris que ce dernier faisait plutôt de la location à court terme pour visiteurs et touristes, ce qui est illégal et causait des soucis au propriétaire.

Une balado américaine destinée aux hôtes Airbnb appelée Short Term Rental Success Stories avait présenté l’histoire de Tariq Hasan et de son entreprise en 2019. M. Hasan y expliquait avoir travaillé en développement des logiciels dans une entreprise à Montréal, mais avoir quitté son emploi pour se consacrer à 100 % aux locations à court terme sur Airbnb et d’autres plateformes similaires.

« Je suis vraiment devenu fasciné par cet espace en raison de l’opportunité formidable pour du cashflow », expliquait-il. Il disait avoir des logements à sous-louer dans plusieurs immeubles, employer un petit groupe d’employés, et parlait de la manne représentée par les touristes pendant l’été, notamment grâce au festival Osheaga.

« J’ai été moi-même surpris des retours sur l’investissement que j’ai obtenus », disait-il.

Il y a deux semaines, sur LinkedIn, M. Hasan s’est toutefois plaint du service offert récemment par la multinationale. « Leur service à la clientèle s’est détérioré significativement. Les usagers, surtout les hébergeurs, sont moins contents de la plateforme », écrivait-il.

Joint par La Presse sur son cellulaire, M. Hasan a refusé de discuter de l’incendie. « Je ne saurais rien à ce sujet », a-t-il laissé tomber avant de raccrocher.