Une victime qui manque à l’appel, neuf personnes hospitalisées, bâtiment endommagé, avertisseurs de fumée peut-être non fonctionnels selon les pompiers : les flammes ont ravagé jeudi un immeuble de la place D’Youville, dans le secteur du Vieux-Montréal. Le propriétaire, l’avocat Émile Benamor, a eu dans le passé des démêlés avec la Ville au sujet de certains de ses immeubles, dont une maison de chambres illégale récemment évacuée.

Stéphanie Galella, 31 ans, s’est réveillée jeudi au son des appels à l’aide. « HELP ! HELP ! HELP ! »
La résidante du Vieux-Montréal habite le bâtiment à côté de celui qui a pris feu. Elle a l’habitude de se faire réveiller par les cris des fêtards, des coups de feu ou des bagarres. « Mais là, j’ai ouvert les rideaux et il y avait cet immense feu. »

Elle a observé le début de l’incendie. Les pompiers sont venus très rapidement. « Les flammes ont pris naissance au deuxième étage. Elles se sont propagées vite. C’est un vieil immeuble patrimonial », explique l’étudiante à la maîtrise en conservation du patrimoine. « Ensuite, il y a eu comme une semi-explosion. J’ai senti toute la chaleur. »

Au moins une personne manque à l’appel, a annoncé le directeur des pompiers de Montréal, Richard Liebmann, dans un point de presse vers midi. « Il y a une personne qu’on recherche activement. »

« Les détecteurs de fumée dans certains des logements étaient possiblement déficients », a expliqué Martin Guilbault, chef de division au Service de sécurité incendie de Montréal (SIM), durant un point de presse.

« Neuf personnes, dont trois blessés graves, ont été transportées en centre hospitalier, entre autres pour des brûlures », a indiqué M. Guilbault.

Selon les pompiers, au moins une personne a sauté par une fenêtre pour échapper au brasier.

Me Alexandre Bergevin, l’avocat du propriétaire Émile Benamor, a vigoureusement nié les soupçons des pompiers sur l’absence ou la défaillance des détecteurs de fumée. « C’est complètement faux. Tout a été vérifié récemment et il n’y avait aucun problème avec cet immeuble », a-t-il assuré.

Son client a peut-être eu des problèmes avec les autorités municipales à d’autres adresses, mais ces déboires n’ont rien à voir avec l’incendie de jeudi, selon lui. « Il ne faut pas mélanger les affaires », a-t-il souligné.

Le feu s’est déclaré jeudi vers 5 h 40 et a nécessité une cinquième alerte. Près de 120 pompiers ont été déployés et se frayaient un chemin dans l’épaisse fumée qui se répandait dans le quartier.

« On a pu regagner nos appartements après une brève évacuation », explique Mounir Rouahi, un résidant témoin de l’incendie.

« On remercie le travail exceptionnel des pompiers qui a notamment permis de sécuriser le musée Pointe-à-Callière. L’intervention rapide a permis de protéger le musée et ses archives », a indiqué le bureau de la mairesse de Montréal, Valérie Plante.

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Le bâtiment, construit en 1890, était protégé en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.

« L’immeuble ravagé par les flammes jeudi matin abrite des logements de type Airbnb », a confirmé à La Presse Stéphanie Lorrain, des relations médias du SIM.

Or, les règlements municipaux interdisent la location de logements sur cette plateforme à cet endroit.

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Le feu s’est déclaré jeudi vers 5 h 40 et a nécessité une cinquième alerte.

Le bâtiment était protégé en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel. Il avait été construit en 1890. « L’édifice est conçu pour loger les bureaux de la Ogilvie Milling Company, l’entreprise de la famille Ogilvie qui domine l’industrie meunière au Canada et qui est en voie de devenir la plus importante minoterie du Dominion », explique la fiche officielle du bâtiment, qui souligne la grande valeur des boiseries, de sa tour d’angle et de ses tympans sculptés.

Une inspection qui tourne mal

L’avocat Émile Benamor, propriétaire de la bâtisse patrimoniale détruite par les flammes jeudi matin, possède une quinzaine d’immeubles sur le territoire de Montréal, selon le Registre foncier. Parmi ses propriétés, plusieurs maisons et des immeubles à logements multiples.

Dans un rapport consulté par La Presse, le SIM affirme être déjà intervenu dans un autre immeuble appartenant à MBenamor, rue Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal. « Le but de mon intervention était de faire une inspection suite à une plainte par un locataire de la présence d’une maison de chambres clandestine », raconte un inspecteur dans un rapport d’infraction daté de 2021 et déposé à la Cour municipale.

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L’avocat Émile Benamor possède une quinzaine d’immeubles sur le territoire de Montréal, selon le Registre foncier.

L’inspecteur affirme avoir découvert qu’à titre de sortie de secours, les 15 chambres situées aux étages supérieurs disposaient d’un escalier en métal qui devait descendre grâce à un jeu de câbles et poulies en cas d’urgence. Un de ses collègues a ensuite voulu tester la solidité du dispositif. « Arrivé à mi-chemin de la volée, le câble s’est soudainement déchiré et l’escalier est descendu brusquement au sol », raconte l’inspecteur.

Son collègue a dû être traité à l’hôpital pour une cheville cassée et des points de suture. Un constat d’infraction pour avoir possédé un immeuble doté de moyens d’évacuation en mauvais état a été remis à MBenamor. L’avocat a toutefois été acquitté parce que la preuve ne permettait pas d’établir qu’il avait manqué de diligence pour régler le problème.

Maison de chambres

Insalubrité, lavabo déficient, refoulement d’égouts, forte odeur d’excréments, tout ça à l’intérieur d’une maison de chambres dans un secteur où ces dernières sont interdites : la Ville de Westmount a déposé le 6 mars dernier une demande d’injonction à la Cour supérieure pour faire placarder une autre propriété d’Émile Benamor située rue Saint-Antoine Ouest, à la suite d’une inspection le mois dernier.

Quatre personnes logeaient dans le bâtiment lorsqu’un inspecteur municipal a remarqué la présence d’excréments et d’eaux usées en lien avec un refoulement, selon le document judiciaire, qui n’a pas encore été évalué par un juge. Trois locataires occuperaient toujours le logement malgré l’avertissement de la Ville de quitter les lieux décrits comme insalubres. La cause doit être entendue par la Cour prochainement.

Les maisons de chambre ne sont pas permises dans ce secteur, indique-t-on.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse