Les motivations du chauffeur d’autobus accusé d’avoir tué deux jeunes enfants en fonçant dans une garderie, mercredi, demeurent nébuleuses. De Sept-Îles, où il a grandi, à Laval, où il vivait, les gens qui l’ont connu sont sous le choc, mais surtout, ils s’expliquent encore mal les motifs derrière son geste.

« J’ai connu Pierre au cégep de Sept-Îles. Je l’ai engagé à ses 17 ans. C’était un gars sympathique et sans histoire », raconte un employé de l’établissement scolaire, qui préfère demeurer anonyme par respect pour les proches de l’accusé.

Cet employé, qui a travaillé pendant des années avec le père adoptif de Pierre Ny St-Amand, affirme sans détour que la population de Sept-Îles « est ébranlée par ce drame ». « C’est une histoire de vie qui a débuté à 12 heures de Laval. Le monde est tellement petit », souffle-t-il.

« Parfois, on entend dire des faussetés sur les immigrants. Moi, je sais que Pierre a eu de très bons parents. Ses parents adoptifs viennent du Nouveau-Brunswick. Ce sont des gens de cœur », assure l’employé du cégep, en appelant à éviter les « raccourcis faciles » entre le pays de naissance du chauffeur, le Cambodge, et la tragédie en elle-même.

Selon nos informations, le père de l’accusé était gestionnaire au cégep de Sept-Îles et sa mère adoptive travaillait dans une polyvalente située tout près. À l’origine, Pierre Ny St-Amand aurait été séparé de sa famille biologique en raison de la guerre au Cambodge.

Le chauffeur qui a fait deux morts et six blessés en fonçant dans une garderie de Laval avec un autobus, mercredi matin, a été accusé de deux meurtres au premier degré, de tentative de meurtre, de voies de fait grave et de voies de fait. D’après nos sources, Pierre Ny-St-Amand est détenu à l’infirmerie de Bordeaux depuis mercredi, probablement dans une cellule d’isolement pour ne pas être mêlé aux autres personnes.

« Un drame humain »

À Sept-Îles, le maire Steeve Beaupré, qui connaît personnellement les membres de la famille de l’accusé, se dit aussi bouleversé. « C’est une tragédie, ce n’est pas nécessairement prévisible, c’est un drame humain. Au nom du conseil et de la population de Sept-Îles, on offre nos condoléances aux personnes endeuillées », a-t-il déclaré dans un entretien avec La Presse.

Sur les réseaux sociaux, les témoignages similaires ont abondé dans les dernières heures. « Je connais très bien la famille St-Amand et je ne peux croire qu’ils vivent un tel drame. Une famille aimante qui a toujours eu à cœur l’intérêt de ses enfants. Je n’excuse aucunement le geste posé par l’individu et je pense aux parents des enfants dont la vie leur a été enlevée. Soyez fort la famille St-Amand, vous ne méritiez pas pareil drame », a notamment écrit une dame originaire du Nouveau-Brunswick, Lise Hébert-Bouchard.

« Pierre-Ny, c’était un garçon qui aimait jouer au badminton, qui était un peu timide, qui était rieur, qui avait des parents adoptifs qui l’aimaient. Aujourd’hui, je me demande comment ce bel être humain, que j’ai connu, a pu devenir, dans un moment de détresse, un tueur d’enfants. […] Un mot pour résumer : incompréhensible », a aussi témoigné la résidante de Sherbrooke Josée Loiselle, une amie de l’accusé.

À Laval, le collège Montmorency aussi touché

Pour Amélie Therrien, présidente du syndicat des enseignantes et enseignants du collège Montmorency – où a aussi étudié Pierre Ny St-Amand après avoir déménagé dans le secteur –, il faudra du temps pour se remettre de ce drame.

Tous les profs ici sont complètement bouleversés par ce qui est arrivé. Ce n’est pas tous les jours que ce genre d’évènement arrive, et surtout, ce n’est pas censé arriver.

Amélie Therrien, présidente du syndicat des enseignantes et enseignants du collège Montmorency

« Il y a des étudiantes en soins à l’enfance et en soins infirmiers qui ont été particulièrement touchées, parce qu’elles étaient en stage au moment où certains des enfants sont arrivés à Sainte-Justine. Ces étudiantes se parlent beaucoup, elles sont tissées serré, donc ç’a été vécu un peu plus difficilement pour elles. C’est le premier gros évènement auquel elles doivent faire face dans leur stage », poursuit Mme Therrien.

Celle-ci rappelle que plusieurs moyens d’obtenir du soutien ont été mis en place par la direction du collège et le CISSS de Laval. « Les ressources humaines ici ont vraiment été très proactives, en contactant directement les départements. Souvent, au syndicat, on vient nous voir quand l’aide ne vient pas. Mais là, ça a vraiment été bien géré », poursuit la syndicaliste.

Le collège Montmorency, lui, n’a pas souhaité commenter la situation lorsqu’il a été appelé à le faire, jeudi. « Nos pensées accompagnent évidemment les familles et les proches des victimes ainsi que les enfants, parents et employés de la garderie », a néanmoins souligné la directrice adjointe aux communications, Marilyn Doucet.

Offrir du soutien à la famille du suspect

Tout le monde qui est impliqué dans la tragédie doit recevoir du soutien, y compris la famille du suspect, indique Georgia Vrakas, professeure agrégée au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Avec ce qui s’est passé, il y a plus de chances que [la famille de l’accusé] soit pointée du doigt ou associée négativement avec la situation. Clairement, on ne veut pas ça.

Georgia Vrakas, professeure agrégée au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières

À la suite du drame, « il y a eu toute une mobilisation, un centre de crise pour les victimes, les familles, les proches : c’est ce qu’il fallait faire en premier lieu », dit la psychiatre légiste France Proulx, de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel.

Il ne faut toutefois pas oublier les proches du suspect. « On peut s’attendre à ce que des proches soient en détresse et aient besoin de soutien, parce qu’eux aussi ont à composer probablement avec l’inexplicable et l’incompréhension », indique la Dre Proulx. « En plus, ils vont devoir composer avec l’opinion publique », ajoute-t-elle.

Ils pourraient vivre de la culpabilité. « Qu’est-ce que j’aurais dû voir que je n’ai pas vu ? Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Ce sont toutes des questions qu’on se pose après, quand on sait ce qui s’est passé », poursuit la Dre Proulx.

Certains membres de la famille vont peut-être vouloir prendre leurs distances avec le suspect pour « se protéger eux-mêmes », dit-elle.

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Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse