C’est devant la Cour suprême que se conclura la saga judiciaire concernant la possibilité pour un tribunal québécois d’imposer à la Direction de la protection de la jeunesse des modifications à son fonctionnement afin de prévenir des abus auprès des enfants qui sont sous sa responsabilité.

Tout débute en janvier 2018, quand une adolescente est placée dans un centre de réadaptation dédié aux adolescents ayant des troubles de santé mentale et de conduite, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Pendant plusieurs mois, l’adolescente va vivre dans différentes unités et faire l’objet de plusieurs mesures d’isolement et de contention. Dans les documents judiciaires, on peut lire que l’adolescente « s’est frappé la tête sur les murs de béton de salles d’isolement petites, défraîchies et dépourvues de matériel de protection » et « a été recouverte d’un chandail lorsqu’elle a été transportée, afin de l’empêcher de cracher sur les agents d’intervention, lui causant des difficultés respiratoires et de l’hyperventilation ».

En juillet 2018, une éducatrice lui a aussi refusé de revenir au centre de réadaptation après une fugue.

À la fin de cette année-là, les parents de la jeune femme entament des procédures judiciaires par une demande en lésion de droits.

La Cour du Québec tranche alors en leur faveur et ordonne plusieurs mesures correctrices à la Direction de la protection de la jeunesse, comme de la formation en santé mentale pour les intervenants qui travaillent dans les unités de traitement individualisés, que ces intervenants puissent bénéficier du soutien d’une personne spécialisée en santé mentale, qu’il y ait création d’un protocole en cas de crachat et qu’on adapte les salles d’isolement pour prévenir les blessures.

D’appel en appel

Ce jugement est porté en appel devant la Cour supérieure, qui tranche en février 2021 en modifiant certaines ordonnances pour qu’elles soient liées directement à l’adolescente en question. Par exemple, non pas tous les intervenants devront suivre des formations, ni toutes les salles d’isolement être adaptées, mais bien les personnes et les lieux qui sont en lien direct avec la jeune fille.

Ce jugement est lui aussi porté en appel. En décembre 2022, la Cour d’appel du Québec déboute en partie le jugement de la Cour supérieure. Dans les documents judiciaires, il est possible de lire que le juge a « le pouvoir de rendre des ordonnances destinées à corriger la situation lésionnaire dans laquelle un enfant est placé », mais qu’il ne doit pas non plus « s’immiscer dans la gestion des ressources humaines, matérielles et financières des établissements et organismes du réseau. »

Vers la Cour suprême

Vendredi, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a annoncé par communiqué qu’elle allait porter ce dernier jugement en appel devant la Cour suprême.

Le but : permettre que des « ordonnances systémiques, de portée générale, puissent être émises pour corriger et prévenir les atteintes aux droits des enfants dont la situation a été prise en charge par la [DPJ] », indique le communiqué.

En d’autres mots qu’un juge ait le pouvoir d’imposer des changements plus larges au sein de la DPJ, afin de prévenir que d’autres enfants subissent le même traitement.

« Selon la Commission, le fait de restreindre le pouvoir de réparation de la Chambre de la jeunesse aurait pour effet de cautionner la perpétuation d’une situation de lésion de droits envers d’autres enfants pris en charge par l’État et de faire reposer sur ces enfants le fardeau de multiplier les recours devant le tribunal pour corriger la situation », indique-t-elle par communiqué.