Il est « fort probable » que l’important délai de 8 h 30 min qu’il aura fallu aux services d’urgence pour transférer un poupon en crise de la communauté atikamekw de Manawan, dans Lanaudière, jusqu’au CHU Sainte-Justine, à Montréal, en avril dernier, a eu un impact sur ses chances de survivre.

C’est ce qu’indique la coroner Géhane Kamel dans son rapport rendu public mardi sur les circonstances ayant mené à ce drame.

Le 31 mars dernier, la petite Niteïyah Chilton a éprouvé « des symptômes d’allure grippale » qui ont mené ses parents à contacter l’infirmière de garde au dispensaire de la communauté, situé à près de 200 km au nord de Joliette, dans Lanaudière.

Malgré la mise en œuvre de la recommandation de l’infirmière de lui administrer de l’acétaminophène, elle se serait mise à convulser le lendemain, ses parents réclamant dès lors un transport ambulancier.

L’appel est fait à 20 h 59, mais comme les équipes de Manawan sont en débordement, il est transféré à une équipe de Saint-Michel-des-Saints, qui mettra 1 h 48 min pour arriver au dispensaire.

Résultat : l’enfant est prise en charge au Centre hospitalier régional de Lanaudière à 2 h 30, soit 5 h 30 min après l’appel initial au 911. Compte tenu de son état critique, il est alors décidé de transférer la nouveau-née au CHU Sainte-Justine, où elle arrivera à 5 h 32, soit 8 h 30 min après l’appel initial au 911.

À ce moment, malgré les efforts de l’équipe médicale du CHU Sainte-Justine, « le pronostic neurologique est sombre », écrit la coroner Géhane Kamel dans son rapport, et le décès de l’enfant est constaté à 8 h 50.

« Dans ce contexte, et compte tenu de l’évaluation médicale initiale, il m’apparaît fort probable que des délais de cette importance ont eu un impact sur la survie de l’enfant et méritent qu’on réfléchisse à des moyens pour les réduire et ainsi éviter que cela ne se reproduise », poursuit-elle.

Deux recommandations à Québec

Dans ces circonstances, la coroner fait deux recommandations au gouvernement. D’abord, elle invite le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) à « compléter, dans les meilleurs délais, [son] vaste projet de transformation des soins préhospitaliers d’urgence, incluant le transport par hélicoptère ».

Selon ce que le MSSS a indiqué à la coroner, il planche déjà sur une telle réforme, quoiqu’aucune date de mise en application n’est indiquée.

La coroner Kamel recommande ensuite au ministère de l’Enseignement supérieur de considérer la mise en place de cohortes collégiales d’origine autochtone pour les programmes de soins préhospitaliers, et ce, « pour pallier le manque d’effectifs en ce domaine dans les régions éloignées ».

Déjà, en avril dernier, des voix s’étaient élevées dans la foulée de la mort tragique du bébé pour réclamer la création d’une formation collégiale pour les paramédicaux réservée aux Autochtones1.

« Ces retards, également causés par un manque d’effectifs ambulanciers, doivent nous amener à réfléchir à des solutions à l’extérieur des cadres établis », insiste pour sa part la coroner Géhane Kamel.

Finalement, elle invite le dispensaire de Manawan à privilégier le bon moyen de transport afin de réduire les délais de transfert ; par exemple, en ayant recours au service par hélicoptère lorsque la situation le requiert.

En effet, la situation aurait « sans doute dû commander une évaluation initiale qui aurait privilégié un transport autre que terrestre », indique la coroner.

Joint mardi, le nouveau chef de la communauté atikamekw de Manawan, Sipi Flamand, estime qu’un hélicoptère « aurait dû » être appelé compte tenu de l’état critique de l’enfant. Des patients dont l’état le requérait ont déjà été héliportés depuis Manawan dans le passé, malgré l’absence d’un héliport dans la communauté.

« C’est une situation quand même triste parce que la santé d’un enfant a été compromise, ce qui ne devrait pas arriver », affirme Sipi Flamand. Ce dernier ajoute être toujours en attente du financement de Québec afin de doter la communauté d’une deuxième ambulance pour faire face à d’autres situations de débordement.

Une situation « inacceptable »

« Cette histoire est bouleversante et nous avons une pensée pour les parents et pour l’ensemble de la famille », a réagi mardi le cabinet du ministre de la Santé, Christian Dubé.

Qualifiant cette situation « d’inacceptable », le ministre ajoute qu’il entend analyser le rapport de la coroner, mais qu’une « chose est certaine, le travail est déjà commencé pour répondre aux recommandations nommées ».

Lors de la dernière campagne électorale, la Coalition avenir Québec (CAQ) a proposé la création d’un réseau médical héliporté d’ici 2026, un projet dont le coût est estimé à environ 225 millions.

1. Lisez notre article « Une formation pour paramédicaux réservée aux Autochtones réclamée »