Un juge a condamné Ottawa mercredi à verser près de 600 000 $ en dommages à un Québécois qui aurait été torturé dans une prison mexicaine après son extradition pour divers crimes. Simulation de noyade, asphyxie avec un sac de plastique, sauce piquante injectée dans le nez : Régent Boily dit avoir vécu un des « pires moments qu’un être humain peut vivre ».

« Monsieur le juge, comment qu’on se trouve impuissant dans une situation pareille… Tu peux pas te défendre, là, tu peux pas leur dire d’arrêter de t’agresser, t’sais ? Puis c’est humiliant, c’est humiliant de savoir qu’on fait de toi ce qu’on veut », avait déclaré M. Boily au procès, en décrivant les différents sévices qu’il disait avoir subis.

La simulation de noyade dans un baril d’eau souillée l’avait particulièrement traumatisé, selon son récit. « C’est un des pires moments qu’un être humain peut vivre. Là, j’étais certain que j’étais pour mourir noyé », avait-il relaté.

Trafic de drogue et évasion sanglante

Né en 1944 dans le Vieux-Hull, en Outaouais, Régent Boily s’est établi au Mexique en 1993 après la mort accidentelle de sa femme au Canada. Remarié à une citoyenne mexicaine, il a commencé à frayer avec des trafiquants de drogue. En 1998, il s’est fait arrêter par les policiers mexicains avec une cargaison de 500 kg de marijuana.

Il dit avoir été torturé une première fois lors de cette première arrestation, alors que les agents lui auraient injecté de la « sauce chili » et de l’eau gazeuse dans les narines. Condamné à 14 ans de prison, il s’est retrouvé incarcéré à la prison de Cieneguillas, dans l’État de Zacatecas.

En 1999, M. Boily s’est évadé à la faveur d’un rendez-vous à une clinique d’ophtalmologie. Des hommes armés ont intercepté les gardiens qui l’escortaient et permis au Québécois de fuir. Un des gardiens de prison a été tué d’un coup de feu. M. Boily a ensuite traversé deux frontières clandestinement pour retourner vivre en Outaouais.

En 2003, le Mexique a demandé son extradition afin qu’il retourne purger le reste de sa peine et ait un nouveau procès pour évasion et homicide involontaire.

Des diplomates canadiens se sont dits inquiets qu’il subisse des représailles, parce que les autorités mexicaines prévoyaient le ramener à la prison où son évasion avait provoqué la mort d’un gardien. Mais leurs craintes n’y ont rien changé. L’extradition a eu lieu en 2007 et M. Boily s’est retrouvé dans l’établissement où le personnel avait toutes les raisons du monde de lui en vouloir. Il a été condamné à une nouvelle peine de 16 ans de prison.

Le Québécois a raconté avoir été torturé à au moins deux reprises à son retour derrière les barreaux au Mexique.

Douze ans pour juger l’affaire

Dès 2010, il a lancé une poursuite contre le gouvernement canadien devant la Cour fédérale du Canada. Il reprochait au gouvernement de l’avoir exposé à ces mauvais traitements. La lenteur du système judiciaire a permis à la cause de s’éterniser pendant 12 ans avant d’être tranchée.

Entre-temps, en juin 2017, M. Boily a été rapatrié au Canada pour purger le reste de sa peine. Il bénéficie d’une libération conditionnelle depuis décembre de la même année.

Mercredi, le juge Sébastien Grammond a donné raison à l’ancien détenu et lui a accordé 589 000 $ en dommages.

« La torture est une pratique universellement réprouvée. Elle constitue une forme radicale d’anéantissement de la dignité humaine », écrit le magistrat dans sa décision.

Les notes internes déposées en preuve démontrent clairement que les fonctionnaires savaient que retourner M. Boily à la prison dont il s’était évadé exposait celui-ci à un risque grave de représailles.

Extrait de la décision du juge Sébastien Grammond

Il y avait des motifs sérieux justifiant l’extradition, mais le Canada aurait pu prendre des mesures pour s’assurer que son ressortissant ne soit pas torturé, en exigeant son incarcération dans une autre prison ou en suivant de plus près sa situation derrière les barreaux.

« Personne ne remet en cause le bien-fondé des condamnations prononcées contre M. Boily et des peines qui lui ont été imposées. M. Boily a violé plusieurs normes fondamentales de la société mexicaine. La vie d’un gardien innocent a été le prix de son évasion […] Le châtiment légitime qu’il méritait n’incluait cependant pas la torture », conclut le juge.

Ses avocats soulagés

M. Boily n’a pas voulu commenter le jugement mercredi. L’équipe d’avocats qui le représentaient, composée de Mes Audrey Boctor, Olga Redko, Vanessa Ntaganda, Michel Swanston et Christian Deslauriers, s’est dite « soulagée ».

« Nous espérons que le Canada assumera enfin sa responsabilité envers M. Boily pour ces évènements et ne fera pas perdurer ce processus pendant plus longtemps », ont-ils écrit dans un message à La Presse.

Les avocats soulignent par ailleurs à quel point la Cour fédérale insiste sur l’importance pour l’État de prendre au sérieux les risques de torture dans les prisons étrangères. « Il s’agit d’une forte affirmation des principes cardinaux en matière de droits de la personne qui sont garantis par notre ordre juridique », soulignent-ils.