Déchirés par la mort de Mehdi Douraid en mars dernier, ses proches interpellent la police et les élus

En contactant La Presse près de six mois après l’assassinat de son fils, Abdenbi Douraid s’était promis de ne pas craquer.

Mais aussitôt assis sur le sofa marocain du salon familial, il éclate en sanglots. Il balaye du regard la pièce où lui et son garçon ont passé leurs derniers moments ensemble. Ses yeux s’arrêtent sur le téléviseur éteint.

« Je ne peux même plus ouvrir la télévision pour regarder le soccer. Je regardais les matchs avec Mehdi. Moi, c’était Real Madrid. Lui, c’était Liverpool », explique-t-il. Difficile de contrôler ses pleurs quand le souvenir de son fils est encore bien présent.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Mehdi Douraid

Mehdi Douraid, 28 ans, est sorti de La Cage aux sports du centre commercial Place Versailles le soir du 10 mars. Il s’apprêtait à rentrer chez lui quand sa voiture a été criblée de balles. Atteint au haut du corps puis transporté à l’hôpital, il a succombé à ses blessures.

« Votre fils a été tué, nous ont dit les enquêteurs. Ils n’ont pas voulu nous dire tout de suite que c’était avec une arme à feu. On n’a jamais eu plus de détails », soutient M. Douraid.

L’enquête est toujours en cours. Selon nos informations, il pourrait s’agir d’une erreur sur la personne. Mehdi Douraid se serait trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, comme bien des victimes tombées sous les balles ces deux dernières années dans la métropole.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Maïssa Douraid, sœur de Mehdi

« Toutes mes amies me le disaient : j’avais de la chance d’avoir un frère comme lui », décrit sa sœur Maïssa Douraid. Il était attentionné et protecteur. Il pensait à sa famille avant tout.

Il n’aimait pas les problèmes et les confrontations. Il était travaillant. « C’était la crème de la crème. C’était une personne serviable. On ne l’oubliera jamais », dit en sanglotant sa maman, Khadija Essadeq.

Guérison difficile

« On ne sait rien. On ne sait pas si des suspects sont identifiés. On ne sait pas pourquoi ils nous ont pris Mehdi », dit en soupirant la mère du défunt.

Les parents sont incapables de faire leur deuil. L’assassin court toujours. Il a peut-être fait d’autres victimes cette année. De jeunes adultes prêts à croquer dans la vie, comme leur fils.

Tant qu’il n’y a pas d’arrestations en masse, les gens vont continuer. Je me demande souvent que fait la police, mais on n’a pas de nouvelles. Il faut aussi des conséquences plus sévères.

Khadija Essadeq, mère de Mehdi Douraid

Car parfois, les juges sont trop cléments, dénonce le couple.

Les annonces des millions injectés dans la répression policière ne lui font ni chaud ni froid. « Pour nous, il y a un avant Mehdi et un après Mehdi. On ne le reverra plus jamais. On ne veut pas connaître les sommes, on veut connaître le plan concret pour que ça arrête », explique Mme Essadeq.

Violence dénoncée, familles oubliées

L’enjeu est instrumentalisé à des fins politiques, mais les familles touchées sont rarement épaulées par les personnalités publiques qui dénoncent la violence armée à coups de gazouillis, souligne Maïssa, la sœur de Mehdi.

Elle a dénoncé la violence armée dans une lettre adressée à la mairesse de Montréal, Valérie Plante, envoyée quelques jours après la mort de son frère au printemps dernier. « J’ai accusé les politiciens d’injecter de l’argent, mais de ne pas être transparents et nous détailler un plan concret », résume la jeune femme. Elle était alors sous le choc, en colère et effrayée. Elle déplorait n’avoir eu aucun mot de la part des élus. Elle remettait en question les priorités de la Ville.

Le cabinet de la mairesse a vite répondu à son message. On l’a convoquée à un entretien virtuel. « Je m’attendais à trouver la mairesse, mais c’était deux conseillers. Il n’y a jamais eu d’hommage pour mon frère. De déclarations. Comme si c’était rendu normal de perdre des jeunes qui vont au restaurant ou au centre d’achats. »

Insécurité sous-estimée

Il est facile de répéter ad nauseam que Montréal est une ville sécuritaire, renchérit Maïssa Douraid. Ce mantra ne se traduit pas dans le quotidien des citoyens, poursuit-elle. « Avant, je vivais ma vie. Maintenant, je ne sors plus la nuit. Je travaille de nuit. Quand je termine trop tard, je reste dormir au boulot », raconte l’infirmière en obstétrique, qui travaille à l’hôpital.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Abdenbi Douraid, père de Mehdi

« Je ne sors plus le soir. Quand je vois une voiture qui ralentit, je regarde la plaque d’immatriculation, le conducteur. Quand ça t’arrive, ça change tout », raconte le père.

La famille, qui réside à Montréal-Nord depuis plusieurs années, est à la recherche d’une maison en banlieue.

« On vit vraiment dans l’angoisse. Pour nous, ce n’est pas juste des articles dans les nouvelles. C’est une vraie possibilité de mourir [sous les balles], ça peut arriver », confie Mme Essadeq.