(Toronto) La Cour fédérale conclut que le Parti conservateur avait le droit d’utiliser du matériel journalistique de la CBC pour des publicités électorales — qui dépeignaient de façon satirique le premier ministre Justin Trudeau sous un mauvais jour.

Dans sa décision, publiée jeudi, le juge Michael Phelan estime que l’utilisation par le parti du matériel de la CBC à la télévision et dans quatre messages sur Twitter à l’approche du scrutin de 2019 constituait une « utilisation équitable » du matériel.

À ce titre, a conclu le juge Phelan, l’utilisation du matériel ne violait pas le droit d’auteur de la CBC, comme le diffuseur public l’avait prétendu en cour.

« L’objectif final était d’organiser une campagne électorale afin de recueillir assez de suffrages pour former un gouvernement, écrit le juge Phelan. À cet égard, le but était la participation au processus démocratique […] Il ressort des éléments de preuve que l’utilisation des œuvres de la CBC visait cet objectif politique légitime. »

Il s’agissait d’une publicité et de tweets conservateurs qui utilisaient du matériel journalistique du réseau anglais de Radio-Canada (CBC). La publicité à la télévision, par exemple, montrait un Justin Trudeau demandant au téléspectateur de « regarder ce que nous avons fait », une déclaration montée en parallèle avec des extraits de nouvelles qui lui étaient plutôt défavorables.

Impartialité et intégrité

Radio-Canada/CBC avait plaidé qu’une telle utilisation de son matériel pourrait compromettre son intégrité journalistique et son impartialité dans la population. Le juge Phelan a d’ailleurs montré une certaine sympathie pour la plainte du diffuseur.

« Il est raisonnable que la CBC, en tant que société d’État, se soucie d’éviter toute partialité politique ou toute impression de partialité, écrit-il. Aucun élément de preuve n’étaye l’accusation selon laquelle la CBC agit de manière irrationnelle en protégeant ses droits. »

Bien qu’il ait trouvé que les conservateurs avaient utilisé le matériel de la CBC d’une manière qui pourrait enfreindre la Loi sur le droit d’auteur, le juge fait remarquer que la Loi prévoit une exemption pour « fin permise », qui comprend la critique ou la satire. Par contre, l’utilisation au titre de l’exemption doit être équitable, ce qui était le cas, selon le juge Phelan, dans le contexte d’un débat politique. « La nature de l’œuvre, c’est-à-dire des nouvelles ou du contenu qui s’y apparente, appuie une conclusion d’équité », conclut-il.

La CBC n’a pas non plus démontré qu’elle avait subi un préjudice réel, a estimé le juge. « Faute d’indices autres que des craintes intangibles et hypothétiques, la marque de la CBC semble suffisamment solide pour démentir toute insinuation de partisanerie.

« Il pourrait arriver, à l’avenir, que la façon dont les productions de la CBC sont utilisées et diffusées nuise à la CBC – toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce. La peur et les suppositions ne sauraient justifier une conclusion d’iniquité quant à ce facteur. »

« Plus de clarté »

Janet Fryday Dorey, directrice du Parti conservateur du Canada, s’est félicitée de la décision, la qualifiant de « victoire claire » pour la démocratie. « Le Parti conservateur reconnaît et respecte également le rôle important que jouent les médias dans notre démocratie », a-t-elle indiqué dans un communiqué. « Nous sommes heureux que la décision d’aujourd’hui apporte plus de clarté pour tout le monde sur la relation entre la Loi sur le droit d’auteur et la critique politique. »

Le diffuseur public avait initialement demandé une injonction interdisant aux conservateurs d’utiliser ses segments, mais il a finalement demandé uniquement au tribunal de conclure que ses droits avaient été violés.

Même si le parti avait retiré l’annonce lorsque la CBC s’est plainte, le juge Phelan a néanmoins décidé de se prononcer, affirmant que la situation risquait de se reproduire et qu’il valait mieux la régler maintenant — en dehors de la chaleur excessive d’une campagne électorale.

« Une des techniques les plus efficaces dans toute activité de défense des intérêts est de faire en sorte que le travail et les actions d’un adversaire se retournent contre celui-ci, écrit le juge. L’une des techniques les plus rapides et les plus faciles pour faire passer ce message est d’utiliser des extraits vidéo et audio. »

C’était l’une des premières fois qu’un tribunal canadien était invité à se prononcer sur un différend de droit d’auteur entre une entreprise de presse et une formation politique nationale.