La poursuite en diffamation déposée en octobre 2020 par Gilbert Rozon contre Julie Snyder et Pénélope McQuade est une tactique qui relève de la poursuite-bâillon, allèguent des demandes en rejet pour abus de procédure déposées plus tôt cette semaine devant la Cour supérieure par les avocats respectifs des deux femmes.

Mmes McQuade et Snyder répliquent ainsi à la poursuite de l’ex-magnat du rire, qui leur réclame 450 000 $ pour atteinte à sa réputation pour des propos tenus en septembre 2020 lors de l’émission La semaine des 4 Julie, animée par Julie Snyder.

C’est la première fois au Québec que l’accusation de poursuite-bâillon est utilisée dans un tel contexte, précise Hugo St-Laurent, l’un des avocats de Mme Snyder et des Productions La Lune, qui produisent son émission. Cela en fait un cas qui pourrait faire jurisprudence. En général, ces requêtes sont utilisées par des groupes de citoyens, ou des organismes communautaires, qui s’élèvent contre les poursuites en diffamation déposées par de grandes entreprises à leur endroit.

« La réclamation exorbitante de Gilbert Rozon n’a pour objectif que d’intimider, de réduire au silence et de museler les défenderesses, qui, comme plusieurs autres femmes, ont eu le courage de dénoncer publiquement ses comportements inadmissibles », expose la demande des avocats de Julie Snyder. Cette poursuite « présente toutes les caractéristiques que le législateur avait à l’esprit lorsqu’il a introduit dans la loi la notion d’abus de procédure, notamment dans l’objectif de contrer les poursuites-bâillon ».

Avec cette poursuite, Gilbert Rozon cherche à museler non seulement les deux demanderesses, mais également « toute autre victime qui serait tentée de les imiter dans le cadre du mouvement collectif de dénonciation des inconduites sexuelles », indique-t-on.

Ces poursuites ont « un effet paralysant sur les victimes de violences sexuelles, renchérit la requête déposée par les avocats de Pénélope McQuade. Les victimes s’autocensurent de peur d’être poursuivies ».

Appelé par La Presse à commenter cette demande, Gilbert Rozon a simplement déclaré qu’il « laisse la justice faire son travail ».

Les demanderesses utilisent, à l’appui de leur requête, des extraits de l’interrogatoire préalable réalisé avec M. Rozon dans le cadre de sa propre poursuite. « Je vais regretter toute ma vie de ne pas avoir poursuivi les médias en 2017 qui ont fait des déclarations sans vérifier ou valider. En 2020, quand je poursuis, je pense que tout le monde s’attendait qu’on pouvait encore s’essuyer les pieds sur moi et, donc, je présume que les gens se sont dit : “Bah, de toute façon, Rozon, il ne poursuivra pas, donc on peut dire ça.” Mais c’est extrêmement grave, ce qui a été dit, et ça méritait deux secondes d’analyse chez des gens responsables », déclare-t-il dans l’extrait cité dans les demandes.

En 2017, [Gilbert Rozon n’a] pas dit un mot, mais trois ans plus tard, [il] poursui[t] tout le monde. C’est comme ça qu’il répond à à peu près toutes les questions de l’interrogatoire préalable. Une position extrêmement belliqueuse.

Mathieu Piché-Messier, avocat de Julie Snyder

En 2017, de nombreuses femmes, dont Julie Snyder, ont dénoncé dans divers médias des inconduites sexuelles de la part de M. Rozon. Dans le cadre de cette demande pour abus de procédure, Julie Snyder a d’ailleurs rédigé une déclaration sous serment relatant l’agression sexuelle dont elle dit avoir été victime de la part de Gilbert Rozon.

Mme Snyder a décliné notre demande d’entrevue, déclarant simplement que « la requête parle d’elle-même et ma déclaration assermentée qui l’appuie aussi ».

Au criminel, une seule plainte a été retenue contre M. Rozon, celle d’Annick Charrette. Au terme d’un procès qui s’est conclu à l’automne 2020, il a été acquitté. Depuis avril dernier, six femmes ont intenté des poursuites civiles contre l’ex-PDG de Juste pour rire. Ce qui fait dire aux avocats de Pénélope McQuade qu’« aucun préjudice ne pourra non plus être prouvé, la réputation de M. Rozon relativement à son comportement sexuel envers les femmes ayant été réduite à néant bien avant l’émission ».