(Ottawa) Une juge de la Cour fédérale rendra bientôt sa décision sur l’opportunité de réintégrer le major général Dany Fortin à la tête de l’opération de distribution des vaccins au Canada, après deux jours de plaidoiries pour déterminer qui a finalement décidé de révoquer l’officier en mai – et surtout pour quels motifs exactement.

Les avocats de M. Fortin ont passé une grande partie de l’audience de deux jours à plaider que pour des raisons purement politiques, le premier ministre Justin Trudeau et les membres de son gouvernement avaient secrètement décidé de faire évincer l’officier de son poste temporaire à l’Agence de la santé publique du Canada.

Cette manœuvre constitue, selon eux, une ingérence politique inappropriée dans les affaires internes de l’armée, en plus de violer les droits de M. Fortin à une procédure régulière, à la présomption d’innocence et à la vie privée. C’est pourquoi le major général devrait être réintégré à la tête de la campagne de déploiement du vaccin, ou à un poste similaire.

Les avocats du gouvernement ont de leur côté demandé à la juge Ann Marie McDonald de rejeter la requête de M. Fortin. Ils maintiennent que c’est le chef d’état-major par intérim, le général Wayne Eyre, qui a pris cette décision dans l’intérêt supérieur de la campagne de vaccination, à la lumière d’une enquête sur la conduite de M. Fortin.

Ottawa soutient que s’il n’était pas satisfait de cette décision, le major général aurait dû déposer un grief au sein de l’armée.

M. Fortin a été accusé au Québec, le mois dernier, d’un chef d’agression sexuelle en lien avec un incident présumé remontant à 1988, qui avait d’abord fait l’objet d’une enquête par la police militaire. La cause doit revenir en Cour du Québec le 5 novembre.

Le général Eyre ou le politique ?

Les avocats de M. Fortin ont décrit mercredi à la juge McDonald les difficultés qu’eux-mêmes et leur client avaient rencontrées pour tenter d’obtenir des informations du gouvernement sur son retrait soudain de la campagne de vaccination le 14 mai. Ils ont notamment souligné l’absence de motifs écrits et le refus du gouvernement, selon eux, de préciser clairement qui avait pris la décision.

L’équipe juridique de M. Fortin a fait valoir que le pouvoir de destituer l’officier appartenait au général Eyre, car en vertu de la loi, seul le chef d’état-major est habilité à gérer les affaires internes de l’armée, et non des politiciens ou des fonctionnaires fédéraux.

Pour prouver les motivations politiques derrière cette décision, Me Natalia Rodriguez a également souligné mercredi les notes manuscrites que le général Eyre a prises lors de plusieurs réunions menant à la destitution de M. Fortin, qui font souvent référence à des risques et des calculs politiques.

« Il semble que la préoccupation politique ou le calcul politique était celui-ci : si (M. Fortin) restait à son poste, et que l’enquête devenait publique, cela nuirait à la perception du public de l’institution et pourrait exposer les décideurs à des risques politiques », a plaidé Me Rodriguez.

« C’était une décision politiquement motivée […] Le fait est que les décideurs ne se sont pas fait connaître délibérément à (M. Fortin) et ont plutôt utilisé le chef d’état-major par intérim comme porte-voix. »

Des discussions entre agences

L’avocate du ministère de la Justice Elizabeth Richards a admis lors de ses plaidoiries que le général Eyre « avait eu diverses discussions avec d’autres représentants du gouvernement, y compris l’Agence de la santé publique du Canada et le Bureau du Conseil privé, au sujet de cette enquête et de son impact potentiel ».

« Et nous disons que c’est exactement ce à quoi vous vous attendez dans une (opération) impliquant plusieurs agences et ministères, a-t-elle plaidé. Il serait en effet étrange que les Forces armées canadiennes, répondant à une demande d’aide, ne discutent pas de l’impact sur l’agence qui a demandé cette aide ».

Me Richards a toutefois soutenu que « quelqu’un est intervenu et a assumé la responsabilité de la décision, et c’est le chef d’état-major de la défense par intérim », ajoutant plus tard : « cette question de savoir qui est le décideur est vraiment un faux-fuyant ».

L’un des avocats de M. Fortin, Thomas Conway, a critiqué cette affirmation dans ses plaidoiries finales, affirmant que le refus du gouvernement de lui fournir, à lui et à son client, des documents écrits de fond — et d’autres efforts d’obscurcissement — avait paralysé sa capacité à déterminer si cela était vrai.

Intégrité de la campagne de vaccination

Les avocats du gouvernement ont eux aussi fait référence aux notes manuscrites du général Eyre, citant certains passages comme preuves que le plus haut dirigeant militaire du Canada avait finalement pris la décision de destituer M. Fortin pour protéger l’intégrité de l’enquête de la police militaire sur sa conduite et la confiance du public dans la campagne de vaccination.

Les avocats du gouvernement ont également déclaré à la cour que M. Fortin n’avait pas été relevé de ses fonctions militaires, mais était retourné à son ancien poste de chef d’état-major au Commandement des opérations interarmées du Canada. Ils ont ajouté qu’il aurait dû porter plainte auprès des militaires, pas auprès des tribunaux, et qu’en outre, le poste à la vaccination n’existait plus.

Mais Me Conway a noté que M. Fortin a juré dans sa déclaration sous serment qu’il n’avait plus de fonctions militaires. « La seule preuve que nous avons vient du major général Fortin, qui dit qu’il n’a plus de mission », a déclaré Me Conway. « Et c’est pourquoi il est venu au tribunal, parce qu’il n’en a plus. Il a été démis de ses fonctions et il n’en a plus. »

La juge McDonald a indiqué mercredi après-midi qu’elle rendrait une décision écrite dans les plus brefs délais.