Une rançon de 11 millions US, un frère ambitieux, des suspects dans le cercle familial… Une guerre de pouvoir au sein de la famille propriétaire des restaurants Chez Cora serait en toile de fond de l’enlèvement du PDG Nicholas Tsouflidis en 2017, révèle un document judiciaire.

L’enlèvement du fils de Cora Tsouflidou, la fondatrice de la chaîne de restaurants à déjeuner, avait fait les manchettes en mars 2017. Enlevé chez lui, Nicholas Tsouflidis avait été retrouvé, huit heures plus tard, dans un fossé de la montée Champagne à Laval. Le procès de Paul Zaidan, ancien franchisé de Chez Cora arrêté en septembre 2018, doit se dérouler l'automne prochain. L’accusé fait face à six chefs d’accusation, dont enlèvement, séquestration et extorsion.

Depuis, peu d’informations ont été révélées sur cette affaire aux complexes ramifications. Une récente requête de la défense pour obtenir de la preuve supplémentaire lève toutefois le voile sur la théorie de la poursuite, mais également sur un « conflit familial » qui faisait rage au sein de la famille propriétaire de Chez Cora. Précisons que ces allégations n’ont pas encore subi l’épreuve des tribunaux.

Selon la requête, la Couronne soutient que l’accusé Paul Zaidan était un franchisé « mécontent de son traitement par la maison-mère » de Chez Cora. Selon la Couronne, il aurait perdu des « sommes importantes », indique la requête. Le ministère public compterait ainsi mettre en preuve « l’historique entrepreneurial précaire » de Paul Zaidan pour établir le mobile de ses crimes allégués.

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Paul Zaidan fait face à six chefs d’accusation, dont enlèvement, séquestration et extorsion.

Or, dans sa requête, la défense allègue aussi qu’il y aurait des zones d’ombre au sein de la famille Tsouflidis. On apprend ainsi que plusieurs suspects potentiels, dont des membres de la famille de la victime, ont été visés par l’enquête policière d’un an et demi.

« Une immense quantité de ressources étaient allouées afin d’enquêter [sur] des suspects faisant partie du cercle interne familial », indique la requête des avocats de Paul Zaidan, MHovsep Dadaghalian et MChristopher Lerhe-Mediati, présentée en Cour supérieure au palais de justice de Laval.

Une semaine avant l'enlèvement

Une semaine avant l’enlèvement de Nicholas Tsouflidis, son frère Théoharis n’a pas reçu comme d’habitude ses 200 000 $ de quote-part, comme les autres membres de la famille, mais seulement 50 000 $, allègue la défense. Sa famille lui reprochait alors son problème de consommation, selon les allégations.

Jeudi matin, la fondatrice de la chaîne de restaurants, Cora Tsouflidou, a affirmé devant le juge François Dadour avoir donné 50 000 $ à son fils Théo à l’époque. « Nous avions certains problèmes, mon fils et moi », a-t-elle témoigné, dans le cadre de l’audience sur la requête de la défense. Maintenant « retraitée », la fondatrice de Chez Cora a indiqué que son fils Nicholas dirigeait l’entreprise depuis 2009-2010.

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Nicholas Tsouflidis, PDG de Chez Cora

Dans la requête, on allègue que la victime a mentionné que ses ravisseurs lui avaient dit « qu’ils ser[aient] payés 50 000 $ pour l’enlèvement ». Ceux-ci auraient même ajouté que l’enlèvement découlait du fait que la victime avait « fourré quelqu’un pour 200 000 piastres », précise la défense.

De plus, des membres du clan Tsouflidis soupçonnent que certains des leurs tentent de « prendre le contrôle de l’entreprise familiale au détriment des autres », souligne la défense.

Ainsi, encore selon la défense, « la preuve démontre » que Théoharis Tsouflidis essayait « activement » de réintégrer le conseil d’administration de Chez Cora ou, à défaut, de vendre ses actions au prix de 2 000 000 $.

Le vice-président aux affaires juridiques de Chez Cora, MBenoît Morel, a affirmé en cour jeudi matin être « pas mal certain » que Théo Tsouflidis avait vendu à l'entreprise toutes ses actions du holding familial en 2017 « avant » l’enlèvement de son frère. Théo Tsouflidis détenait toutefois seulement 11 % d’une partie de l’entreprise, et aucune part de l’entreprise avec la « plus grande valorisation », soit Cora Franchises Group, a témoigné MMorel.

Selon la requête, Théo Tsouflidis avance que son frère aurait en fait « orchestré » son propre enlèvement pour lui causer des « problématiques dans ses démarches en lien avec l’entreprise familiale ». Théo Tsouflidis avait d’ailleurs « tellement peur » de son frère Nicholas qu’il contactait la police « avant d’effectuer des rencontres avec les membres de sa famille à saveur commerciale par peur de représailles de leur part », allègue la défense.

La défense ajoute que le plaignant, Nicholas Tsouflidis, a fait plusieurs « déclarations incompatibles » pendant l’enquête policière, en soulignant par exemple qu’il n’avait « aucun conflit monétaire » avec un membre de sa famille.

« Énorme conflit » commercial

Les enquêteurs ont également examiné un « énorme conflit » commercial entre la maison-mère et des franchisés, selon la requête. Certains d’entre eux ont dû fermer leurs portes et déclarer faillite en raison de l’augmentation des frais, des contraintes de la maison-mère et des projections de ventes qui n’étaient « pas » réalisables, allègue la requête.

Un franchisé a démontré au policier que la maison-mère de Chez Cora ne divulguait plus le nombre de fois qu’une franchise avait été vendue dans le but de « dissimuler les endroits qui n’étaient aucunement rentables », selon la défense.

Dans le cadre de sa requête en communication de preuve, la défense réclame l’accès à de nombreux documents commerciaux concernant l’entreprise Chez Cora.

Aux yeux de la défense, les capacités financières de Nicholas Tsouflidis, de sa mère Cora et de leur entreprise sont des « piliers importants » du dossier, « car les suspects avaient clairement une connaissance détaillée des ressources potentielles à leur disposition ».

L’enquête policière a démontré que Cora Tsouflidou était d’ailleurs capable de payer la rançon de 11 millions US pour libérer son fils, selon la requête de la défense

« Le frère du plaignant avait un conflit familial commercial interne, car il a seulement été payé 50 000 $ et qu’il manquait le montant de 150 000 $ additionnels habituellement payé », plaide aussi la défense dans sa requête.

MKarine Dalphond représente le ministère public dans ce dossier, alors que MKarim Renno représente la famille.