(Montréal) Il existe très peu de données fiables, indépendantes et complètement accessibles à tous, qui tiennent compte des interpellations policières à Montréal. Les organismes communautaires qui réclament des changements dans le traitement des personnes issues des communautés ethnoculturelles disent ne pas être pris au sérieux faute de statistiques tangibles.

Une situation à laquelle entend remédier l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) en recueillant sur le nouveau site web STOPMTL.ca, des témoignages de personnes ayant eu des interactions avec les forces de l’ordre.

Le projet lancé mercredi servira à colliger de l’information sur la nature des interpellations avec le plus de détails possible comme l’endroit et le moment des faits, le mode de transport utilisé, l’âge, le sexe ainsi que l’origine ethnique de la personne.

Les personnes âgées de 15 ans et plus sont invitées à rapporter une expérience d’interpellation policière qui a eu lieu le jour même ou jusqu’à 20 ans en arrière, par l’entremise d’un formulaire anonyme. L’objectif est de dresser un portrait précis des interpellations policières dans la métropole qu’elles soient positives ou négatives, en intégrant le point de vue du citoyen.

La chercheuse principale et professeure en études urbaines à l’INRS, Carolyn Côté-Lussier, explique que les organismes communautaires n’ont pas accès aux microdonnées statistiques du Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM). Elle-même s’est butée à des difficultés en tentant de les obtenir.

De plus, elle estime que les quelques données rendues publiques par le SPVM ne représentent pas la réalité puisque seulement 5 % à 10 % des interpellations effectuées sont enregistrées. La Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal recommande d’ailleurs dans son rapport publié en février que ces interactions soient systématiquement notées.

Le but de cette plateforme est de documenter un « enjeu de société important » et de façon démocratique afin d’outiller les organismes, les citoyens, les décideurs politiques de même que le SPVM.

Méthodologie

L’INRS s’est tourné vers une méthode de recherche qui comprend un système d’information géographique volontaire. Cette méthodologie est déjà utilisée couramment par plusieurs sites web et applications tels que Trip Advisor, Google Maps et Waze. Elle sert notamment à cartographier des habitudes ou des comportements, dans des endroits spécifiques.

Afin de s’assurer de la validité des données, tous les renseignements compilés seront ensuite revus par une équipe de chercheurs et comparés à la lumière des informations existantes sur la population montréalaise, comme celles divulguées par Statistiques Canada.

Les formulaires contenant des informations manquantes ou frauduleuses seront retirés du lot. Mme Côté-Lussier précise que seul un échantillon des données les plus rigoureuses sera conservé. La cartographie des interpellations permettra de déterminer une multitude de facteurs comme les zones où ces interpellations sont plus fréquentes, ajoute-t-elle.

« Biais systémiques »

Le SPVM avait reconnu l’existence de « biais systémiques » menant au profilage racial à la suite d’une étude indépendante en 2019, dont les recherches ont indiqué que les Noirs, Autochtones et Arabes étaient quatre à cinq fois plus susceptibles d’être interpellés par la police que les citoyens blancs.

« Les personnes noires et arabes sont nettement surinterpellées », avait noté le document. La « minorité noire » est d’ailleurs « interpellée de manière très disproportionnée par rapport à la taille de sa population », soulignait-on.

Le projet est en accès libre, ce qui signifie que les données du site web sont ouvertes, donc accessibles et téléchargeables par tous ceux qui le souhaitent. Mme Lussier espère aussi que d’autres villes à travers le monde vont récupérer le modèle pour rendre compte de leur propre réalité.

Le journaliste et animateur Meeker Guerrier salue l’initiative de l’INRS « qui s’intéresse avec une étude concrète, à répertorier de manière précise des témoignages et des données statistiques sérieuses, qui sont vérifiables et crédibles ». « Les faits parlent », ajoute celui qui s’est fait interpeller un bon nombre de fois au courant de sa vie. Il pense qu’un tel projet peut servir de « base de solution pour pouvoir bâtir sur quelque chose de concret plutôt que sur des anecdotes ».

Pour Natacha Élie, qui a vécu un épisode dont elle est toujours marquée après avoir été interpellée et menottée sans raison, l’automne dernier, cet outil est un autre moyen de dénoncer ce type d’incidents.

Cet article a été produit avec l’aide financière des Bourses Facebook et La Presse Canadienne pour les nouvelles.