Un ex-criminel devenu taupe pour la Sûreté du Québec (SQ) durant une importante enquête contre des réseaux de trafic de stupéfiants liés aux Hells Angels, en 2017-2018, a eu la peur de sa vie lorsqu’il a été confronté par un motard durant son infiltration.

L’homme, dont on doit taire l’identité en raison d’un interdit de publication, a vendu de la cocaïne et de la méthamphétamine, et versé des milliers de dollars en redevances à trois Hells Angels, Stéphane Maheu, Michel Langlois et Daniel André Giroux – ce dernier ayant été condamné à sept ans d’emprisonnement vendredi – durant l’enquête Objection menée par l’Escouade nationale de répression du crime organisé (ENRCO) de la Sûreté du Québec.

Il a témoigné durant deux jours en novembre 2019 lors de l’enquête préliminaire de Giroux et a raconté son passé et son expérience d’agent civil d’infiltration (ACI).

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Daniel André Giroux

Durant environ huit mois, il a porté un dispositif d’enregistrement portatif chaque fois qu’il rencontrait un suspect. Tous les soirs, il a rencontré ses policiers contrôleurs, qui ont photographié tous les messages échangés et reçus de ses complices.

Mais ce que les trafiquants et les policiers ignoraient, c’est que l’ACI avait un problème de jeu et qu’il a détourné des sommes totales d’environ 44 000 $ provenant de la vente de stupéfiants, qui devaient revenir à la Sûreté du Québec, pour les dépenser dans des machines de vidéo poker et au Casino de Montréal.

Mauvais quart d’heure

Durant l’hiver 2018, un complice a réalisé qu’il manquait 40 000 $ dans la comptabilité du réseau et a avisé le Hells Angels Stéphane Maheu, qui a donné rendez-vous à l’ACI dans un club de danseuses de Marieville. Lorsque l’ACI est entré dans le commerce, Maheu, qui était en compagnie d’un certain McDo, n’affichait pas sa bonne humeur habituelle.

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Stéphane Maheu au palais de justice de Montréal en 2018

Stéphane Maheu a demandé à la barmaid une clé pour une chambre et a dit à l’ACI de le suivre en laissant ses affaires sur place. En entrant dans la chambre, Maheu a posé la chaîne sur une porte et McDo a fait de même avec l’autre porte. Maheu et l’ACI se sont assis à une table lorsque le motard s’est approché de l’autre et a posé le pied sur sa chaise.

« Travailles-tu pour la police ? lui a demandé Maheu.

– Non, a répondu l’autre.

– Je ne savais pas à matin si je devais te crisser dans le banc de neige ou te laisser parler », a poursuivi Maheu.

À l’enquête préliminaire, l’ACI a expliqué que « crisser dans un banc de neige, ce n’était pas pour faire un bonhomme de neige, c’était pour savoir s’il allait me tuer ou me laisser parler ».

« Je ne travaille pas pour la police, a répété l’ACI.

– Je fais juste te rappeler que si tu travailles avec les cochons, je t’ai sauvé la vie à soir », a conclu Maheu, avant de dire à l’ACI qu’il voulait le revoir le lendemain.

Le jour suivant, Maheu a demandé à l’ACI de le prendre au même bar. En montant dans la voiture, il a demandé à l’ACI son téléphone cellulaire et l’a déposé, ainsi que le sien, dans un sac qui coupe les ondes. « Là encore, je me pose des questions, à cause de la situation de la veille, je ne sais pas ce qui arrive », a dit l’ACI durant son témoignage.

Le duo s’est rendu dans un garage du chemin Gascon à Terrebonne où Maheu voulait rencontrer un autre individu pour discuter des doutes qu’il entretenait sur l’ACI. Celui-ci a raconté qu’à son arrivée, Maheu a pris un appareil noir, muni d’une antenne, qu’il a passé sur son corps pour savoir s’il portait un micro. Il a fait de même avec la voiture et l’appareil a sonné deux fois.

« Tu as de quoi dans ton char, lui a dit Maheu.

– J’ai rien dans mon char. Arrête de capoter, je n’ai pas de micro sur moi, je ne travaille pas pour la police », a répété l’ACI, qui n’avait visiblement pas son système d’enregistrement ce jour-là.

Par la suite, Maheu a eu une discussion avec l’autre individu, qui a calmé ses doutes, pour le moment du moins, mais qui a paru une éternité à l’ACI.

« J’avais comme trois vies »

Mais le 12 février 2018 – deux mois avant la frappe –, l’ACI a effectivement découvert sous sa voiture un GPS qui n’a vraisemblablement pas été placé là par la police. Le lendemain, pour sa sécurité, il a été retiré des opérations par les membres du Groupe tactique d’intervention et amené dans un lieu sécurisé et surveillé par les policiers.

Confronté par ses contrôleurs, menacé de rupture de contrat et craignant de ne plus être protégé par la police, il a fini par avouer les sommes détournées pour le jeu, un manquement à son contrat, parmi d’autres.

« Ma famille n’était pas au courant de ce que je faisais. J’avais des meetings à longueur de journée avec des Hells Angels et des trafiquants avec des body packs sur moi. Dans le fond, j’avais comme trois vies. Ma femme qui ne le savait pas, les trafiquants qui ne le savaient pas et les contrôleurs qui ne savaient pas que je détournais de l’argent », a témoigné l’ACI.

La seule place où je ne me faisais pas poser de questions, c’était devant une machine où je pouvais m’isoler.

L’agent civil d’infiltration

L’ACI, qui n’a pas toujours été un enfant de chœur dans le passé, a affirmé que c’est pour changer de vie, pour se venger d’une tentative de meurtre dont il a été victime en 2012 et au cours de laquelle son enfant a failli être atteint, et parce qu’il en avait assez de la prison qu’il a signé un contrat d’ACI pour 320 000 $.

« Les avantages, c’est de pouvoir mettre du gaz dans mon char. Regarder en arrière si je me fais pas tirer, ça, c’est un désavantage », a-t-il dit, au sujet de ce contrat.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.