Cinq ans après avoir amorcé un combat de tous les instants pour éviter l'expulsion, tout indique que l'ancien associé de la mafia montréalaise, Michele Torre, a perdu son bras de fer qui l'oppose au gouvernement canadien.

Un juge de la Cour fédérale a en effet ordonné ce matin l'expulsion de l'homme de 67 ans, après que l'avocat de ce dernier, Me Stéphane Handfield, eut présenté et plaidé une requête en sursis de renvoi.

À moins d'un miracle, c'est-à-dire une que le ministre fédéral de la Sécurité publique, Ralph Goodale, ou le ministre de l'Immigration, Ahmed D. Hussen, intervienne en sa faveur, Torre se présentera à l'aéroport Trudeau jeudi après-midi et s'envolera, flanqué de deux agents d'immigration, avec un billet aller seulement, vers l'Italie, son pays d'origine, où il n'est jamais retourné en plus de 50 ans de résidence au Canada.

Avec les Cotroni

En 1996, Michele Torre s'est rendu à Toronto pour récupérer une cargaison de 170 kilogrammes de cocaïne. Mais lorsqu'il s'est présenté, la drogue avait déjà été saisie par les policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui avaient les membres du clan Cotroni dans leur ligne de mire, dans une enquête baptisée Choke.

Torre a été arrêté, accusé et condamné à près de neuf ans de pénitencier. Arrivé au Québec en 1967, à l'âge de 14 ans, il était résident permanent au moment du crime et n'a jamais demandé sa citoyenneté canadienne.

En 2006, Michele Torre a de nouveau été arrêté dans la grande enquête anti-mafia Colisée. Il a été accusé de complot dans une affaire de cocaïne, mais a été acquitté.

En 2014, l'Agence des services frontaliers du Canada a entamé des démarches pour l'expulser vers l'Italie, pour grande criminalité et pour ses liens avec le crime organisé.

L'agence a obtenu gain de cause, mais Torre a multiplié les démarches et demandé à la Cour suprême d'être entendu, en vain. La Cour fédérale a ordonné son renvoi, mais le ministre Goodale lui a donné en 2016 un sursis - pour des raisons humanitaires - de deux ans qui vient à échéance après-demain.

Depuis deux ans, Michele Torre n'a pas de statut au Canada. Il bénéficie d'un permis de séjour et de travail. Il est rénovateur et poseur de céramique. Son avocat a demandé un autre permis de séjour temporaire, mais cela lui a été refusé en janvier.

Artisan de son malheur

Devant le juge Simon Noël de la Cour fédérale, Me Stéphane Handfield a notamment plaidé ce matin que le crime remonte à plus de 20 ans, que son client a toujours été respectueux des lois depuis et que les risques de récidive vont toujours en s'amenuisant. Il a aussi longuement plaidé la piètre santé de sa femme qui ne s'en remettra pas si son mari la quitte.

« En raison de ses graves problèmes de santé, elle ne peut même pas prendre l'avion pour aller le voir », a-t-il lancé.

De son côté, Me Lisa Maziade, qui représente les ministères Citoyenneté et Immigration et de la Sécurité publique, a argué que les problèmes de santé de la femme de Torre ne sont pas uniquement liés à la menace d'expulsion, que Torre n'a pas allégué aucun préjudice défavorable pour lui-même et que tous les recours ont été épuisés. « À un moment donné, il faut que ça prenne fin », a résumé l'avocate.

« Monsieur a fait des choix. Il a été l'artisan de son malheur et c'est sa famille qui va en subir les conséquences », a conclu le juge Simon Noël, en rejetant la requête de sursis.

Il est allé plus loin en envoyant un message aux ministres Goodale et Hussen qui analysent une nouvelle demande de sursis.

« La balance des inconvénients est maintenant entre les mains du ministre qui a toutefois le mandat de faire respecter les lois, et c'est ce à quoi s'attendent les citoyens », a dit le juge.

Torre a déjà obtenu un sursis ministériel et rares seraient ceux dans son cas qui en ont obtenu un deuxième. En 2016, il a été sauvé de l'expulsion in extremis par le ministre Ralph Goodale alors qu'il était à l'aéroport, sur le point de s'envoler. Mais tout indique que cette fois-ci, ce serait surprenant que ce scénario se répète après-demain.

Pour joindre Daniel Renaud, composez-le (514) 285-7000, poste 4918, écrivez à

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