« Moi, j’ai trois amis qui ont fait des surdoses à cause du fentanyl », lance Lulu, que nous avons rencontrée en train de quêter dans le Village, un après-midi de juillet. « L’un est décédé. L’autre a été ranimé. Et le troisième est dans le coma. »

Dans la rue, les gens qui meurent de surdoses ont des noms, des histoires. Leur perte crée une onde de choc. Les deuils s’accumulent comme autant de traumatismes pour une population déjà fragilisée.

« Apprendre des décès chaque semaine, c’est notre nouvelle normalité », lance Jean-François Mary, directeur général de l’organisme Cactus Montréal. « Comme de voir des gens de 40 ou 50 ans qui pleurent parce qu’ils ont peur de mourir. Parce qu’ils savent qu’ils sont les prochains sur la liste. Et qu’ils voient tous les autres tomber autour d’eux. »

Lundi, La Presse rapportait que des substances vendues dans la rue, comme les benzodiazépines et le crystal meth, provoquaient une hausse des psychoses.

Lisez notre dossier sur la crise des psychoses

Mais les changements vers de nouvelles substances ne sont pas les seules responsables de la détérioration de la santé mentale chez ceux qui consomment de la drogue.

Voir ses amis mourir, avoir peur d’être le prochain. Ne pas avoir de logement, assez d’argent pour manger, d’endroit où se laver. Être perçu comme un moins que rien. Être en sevrage. Avoir perdu ses services de santé pendant la pandémie. Ne plus avoir d’espoir. Toutes ces raisons se combinent pour expliquer la hausse de la détresse et de la violence dans la rue, énumèrent les différents intervenants avec lesquels La Presse s’est entretenue pour cette série de reportages.

« On est dans une conjoncture où il s’est passé plein d’affaires négatives, résume la Dre Julie Bruneau, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine des toxicomanies. En même temps, les marchés de drogue sont de plus en plus dangereux. Ça fait en sorte que ça déstabilise toute une couche de la population qui était déjà plus vulnérable. »

« Le monde prend beaucoup de risques »

Mario est sorti d’une longue peine de pénitencier depuis moins d’une semaine. Déjà, il a perdu un chum. « C’était il y a trois jours, dans le Vieux-Montréal », nous a-t-il raconté lorsque nous l’avons croisé dans le Quartier chinois, fin juillet.

« La police l’a retrouvé mort sur un banc. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Mario a perdu un ami en raison d’une surdose.

Le nombre de morts par surdose continue d’augmenter dans la métropole, rapporte Santé Montréal. Un sommet a été atteint en 2022-2023 avec 172 décès, soit 14,3 par mois.

La Direction régionale de santé publique de Montréal a d’ailleurs lancé une alerte le 11 juillet concernant une « hausse importante des surdoses non mortelles » dans la métropole.

Consultez l’alerte de la Direction régionale de santé publique de Montréal

« Hier, j’ai vu une petite fille, elle avait 19 ans et elle se piquait », raconte Mario. Il est troublé, car c’est l’âge de ses propres filles. « Les consommateurs sont plus jeunes, et le monde prend beaucoup de risques, ils vont prendre n’importe quoi », s’inquiète-t-il.

La consommation de drogue sert souvent à atténuer une détresse, rappelle Martin Pagé, directeur de l’organisme Dopamine. Voir des personnes mourir à répétition amplifie la douleur. « Les gens sont en mode survie, souligne-t-il. Il faut avoir de la bienveillance et de l’empathie envers eux. »

« On a leur vie entre les mains »

Les personnes de la rue ne sont pas les seules touchées par cette vague de surdoses.

« Dans notre service [d’injection supervisée], on a le signe vital des gens dans nos mains, et on connaît ces personnes-là, décrit M. Mary. Je trouve que c’est une responsabilité énorme. »

Du côté de l’organisme Spectre de rue du Village, il y a déjà eu six consommateurs impossibles à réveiller, en même temps, témoigne Alicia Elizabeth Morales, coordonnatrice clinique du site d’injection supervisée. Ces personnes devaient être surveillées pendant des heures pour s’assurer qu’elles ne faisaient pas de surdose. La coordonnatrice a dû faire appel à des ambulanciers pour les aider.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Alicia Elizabeth Morales, de l’organisme Spectre de rue

À la maison Benoît Labre, dans le Sud-Ouest, tous les intervenants ont été formés pour surveiller la respiration des personnes en train de dormir. À L’Anonyme, les intervenants ont fait face à une dizaine de surdoses pendant la première semaine de juillet, un record, rapporte le directeur général, Julien Montreuil.

« Les intervenants communautaires, ce sont souvent eux qui sont au front », martèle Karine Bertrand, professeure à l’Université de Sherbrooke et directrice scientifique de l’Institut universitaire sur les dépendances. « Ils perdent des gens qu’ils connaissent, les services sont essoufflés. Ils ont besoin d’être épaulés. »

Une crise qui touche tout le monde

La crise des surdoses ne touche pas que les personnes en situation d’itinérance. Pour notre long dossier « L’épidémie invisible », le journaliste Philippe Mercure a notamment fouillé plus de 1250 rapports de coroner, montrant que les surdoses coûtent la vie à des gens de tous les âges et de toutes les classes sociales.

Consultez notre grand reportage « Surdoses : l’épidémie invisible »
En savoir plus
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    Nombre moyen, par mois, d’interventions d’urgence à Montréal en raison d’une surdose. Ce nombre a quintuplé depuis 2019-2020.
    Source : Santé Montréal
    1214
    Moyenne de la distribution de doses de naloxone par mois par les organismes et pharmacies communautaires. Ce nombre a doublé depuis 2019-2020.
    Source : Santé Montréal