Le centre commercial Place Versailles croit être l’un des seuls au Québec à utiliser une technique singulière pour se débarrasser de la neige qui tombe sur ses immenses stationnements : il la « brûle » au gaz naturel.

L’entreprise vante les mérites du système, mais son impact environnemental est critiqué à l’heure où Montréal veut s’attaquer à la consommation de gaz.

Place Versailles a installé son fondeur il y a une quinzaine d’années. Il consiste en une « piscine creusée » chauffée par quatre turbines au gaz dans un coin du stationnement, a expliqué Patrick Piché en faisant visiter l’installation à La Presse, la semaine dernière. M. Piché est responsable des installations physiques du centre commercial.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le fondeur, sorte de « piscine creusée » chauffée par quatre turbines au gaz dans un coin du stationnement

Lorsque l’équipe de M. Piché « brûle » – c’est l’expression consacrée –, un tracteur pousse les tas de neige récoltés dans le bassin rempli d’eau. En plus, les quatre turbines projettent de l’eau chaude. « Ça va comme manger la neige », décrit M. Piché. Un véritable Jacuzzi pour flocons, qui n’y font pas long feu. Le système est directement connecté à l’égout municipal. « Ça fonctionne bien. »

Les jours de grand froid, la volute de vapeur qui s’échappe des fondeurs est si opaque que le 911 reçoit régulièrement des appels de citoyens persuadés de voir un incendie.

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Les jours de grand froid, la volute de vapeur qui s’échappe des fondeurs est si opaque que le 9-1-1 reçoit régulièrement des appels de citoyens persuadés de voir un incendie.

« Ça nous permet d’éliminer l’accumulation de la neige sur le terrain et on n’est pas obligés de transporter la neige ailleurs », a dit Elizabeth Payne, directrice générale et patronne de M. Piché. « Il n’y a jamais de neige sur le site. C’est toujours dégagé. » Place Versailles compte environ 4000 places de stationnement.

Coût énergétique

Mais cette absence de neige a un coût, souligne Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie.

C’est évidemment un des pires usages énergétiques qu’on puisse imaginer.

Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie

« Il faudrait faire la comparaison avec le coût énergétique de déplacer la neige par camions, a ajouté le professeur. Le simple fait que ce soit économiquement possible de construire des infrastructures en béton pour permettre l’usage de véhicules individuels et de faire fondre la neige au gaz naturel illustre parfaitement les manquements des incitatifs économiques pour nous mener à la transition énergétique. »

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Place Versailles n’a aucune intention de se départir de son fondeur malgré les factures de gaz naturel de plusieurs milliers de dollars.

Jeudi, l’administration Plante a accueilli favorablement les recommandations d’une commission d’élus municipaux qui souhaitent voir l’installation de nouveaux appareils au gaz être interdite à court terme à Montréal. Ils voudraient aussi rendre illégal le branchement de tout bâtiment neuf au réseau de gaz naturel.

« Avec l’ampleur de la crise climatique, ce n’est plus l’heure des demi-mesures », a réagi Marie-Andrée Mauger, élue chargée de l’environnement au comité exécutif de Valérie Plante.

« Il faut que ce soit clean »

Place Versailles, pour sa part, n’a aucune intention de se départir de son fondeur malgré les factures de gaz naturel de plusieurs milliers de dollars.

Déplacer la neige vers des sites spécialisés aurait aussi des impacts environnementaux, a souligné Mme Payne.

« Ça en prend, des 12-roues et des 15-roues, pour transporter la neige », a-t-elle relevé.

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Le propriétaire n’aime pas l’idée de condamner un coin du stationnement pour entasser la neige.

Pourquoi ne pas simplement condamner un coin du stationnement pour entasser la neige ? « Le propriétaire ici n’aime pas ça. Et il n’a jamais aimé ça, a expliqué Patrick Piché. Il faut que ce soit clean. » Une version confirmée par Mme Payne.

Cette dernière a ajouté que même si elle le souhaitait, il ne s’agirait pas d’une mince affaire. La hauteur des montagnes de flocons est réglementée, tout comme la distance à laquelle elles peuvent se trouver d’une voie de circulation ou de la limite du terrain, a expliqué la directrice générale du centre commercial.

« On teste toujours l’eau quand on finit de brûler, a-t-elle expliqué. Tout ce qui est déversé dans le système de la Ville est propre. Chaque année, on envoie le résultat de toutes ces analyses-là à la Ville. »

Les fondeurs de Place Versailles pourraient même faire des petits. « Il y a des villes qui sont venues vérifier comment ça marchait », a souligné Patrick Piché.