En roulant dans la rue Sherbrooke Est, l’inspectrice municipale jette un coup d’œil dans chaque rue perpendiculaire, à l’affût d’un suspect. Descriptif : blanc, souvent aussi large que haut et froid. Très froid.

Face à la multiplication des tas de neige déposés illégalement par des déneigeurs et des résidants dans la rue chaque hiver, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve a décidé de les autoriser, tout en encadrant – et en tarifant – la pratique.

Depuis deux hivers, l’arrondissement de l’est de Montréal impose un nouveau permis aux propriétaires de stationnement qui doivent pousser leur neige dans la rue, faute de place pour l’entreposer sur leur terrain. Même les cases individuelles devant les bungalows sont concernées. Coût pour ces derniers : 50 $ par année. Les stationnements commerciaux doivent payer selon la superficie du stationnement à déneiger.

« Il y a des gens qui se retrouvaient avec des buttes de neige jusqu’au printemps, il y a des puisards qui se retrouvaient bloqués […] des voies réservées, des traverses de piétons [bloquées] », a témoigné Brigitte, inspectrice à la tête de l’opération anti-buttons. Elle a refusé que son nom de famille soit dévoilé par crainte de représailles.

Une interdiction centenaire

Le dépôt de neige sur la voie publique est interdit depuis 1901 à Montréal, « mais tout le monde le faisait et de n’importe quelle façon », a déploré la fonctionnaire. Une pratique largement tolérée. Le nouveau règlement « permet de contrôler comment c’est fait ».

Entre autres conditions : aucune neige ne peut être déposée après le chargement municipal, elle ne doit pas bloquer la circulation automobile ou piétonnière. Plus de 2000 résidants et commerces se sont procurés un permis.

Hochelaga-Maisonneuve n’est pas le premier arrondissement montréalais à mettre en place un tel système de permis. Ici, son implantation a toutefois soulevé un tollé : les élus de l’opposition ont dénoncé une nouvelle « taxe sur la neige », alors que des centaines de résidants ont signé une pétition pour dénoncer le programme.

L’hiver dernier, seul un secteur de l’arrondissement était concerné. Le projet-pilote couvre maintenant environ la moitié de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Tout l’arrondissement sera visé dès l’hiver prochain.

Aucune amende pour l’instant

En faisant sa tournée de l’arrondissement, Brigitte garde l’œil ouvert. Elle intervient à une station-service Ultramar qui a poussé sa neige jusqu’à recouvrir presque entièrement une borne d’incendie. « Je vais appeler pour que ça se règle », lui jure la gérante, à qui l’inspectrice remet sa carte. « Est-ce qu’il y a une amende qui vient avec ça ? » Pas cette fois-ci : le commerce s’en tirera avec un simple avertissement.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Cette borne d’incendie pratiquement recouverte de neige expose le contrevenant, une station-service Ultramar, à une amende ; mais depuis le début du projet pilote, le mot d’ordre parmi les fonctionnaires est d’abord de sensibiliser les résidants.

Les fonctionnaires de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve semblent préférer la méthode douce : depuis le début du projet-pilote l’hiver dernier, aucun constat d’infraction n’a été remis à des commerces ou à des citoyens pour avoir déposé de la neige sans permis. L’arrondissement veut commencer par sensibiliser les résidants à ce nouveau règlement, explique Vincent Fortin, chargé des communications, qui prend part à la patrouille. Des dépliants ont été distribués à l’automne. Les plaintes de nuisance liées à la neige sont en baisse, a-t-il assuré.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Un exemplaire des avis distribués par les agents de l’arrondissement.

Mais certains risquent tout de même de subir leurs foudres : en sillonnant les rues de l’arrondissement, Brigitte ouvre l’œil pour repérer la machinerie d’un entrepreneur en déneigement multirécidiviste en matière de dépôt sauvage. « Il fait les choses vraiment, vraiment tout croche, a-t-elle dit. Il bloque beaucoup de voies réservées sur notre territoire. […] Lui s’expose à une pénalité certaine d’ici la prochaine tempête. » « On est rendus là », a affirmé M. Fortin.

« Une taxe déguisée »

L’absence d’amende démontre l’inapplicabilité de ce règlement, selon l’opposition officielle à l’hôtel de ville.

Les élus dénoncent l’imposition de nouveaux frais pour une pratique – déposer sa neige dans la rue – qui a toujours été tolérée.

« C’est une taxe déguisée, parce qu’il n’y a aucun service supplémentaire qui est offert », a plaidé Julien Hénault-Ratelle, qui représente les résidants de Tétreaultville. « Les citoyens se mettent à devoir payer pour un service qu’ils avaient déjà auparavant. »

Les commettants de M. Hénault-Ratelle ont été visés par le projet-pilote dès l’hiver dernier. Seule une faible minorité d’entre eux ont adhéré au programme, a-t-il assuré.

« Ça a créé de l’insatisfaction par rapport au taux d’adhésion : certains citoyens ont payé le permis, d’autres voisins ne l’ont pas payé. Ça a occasionné des disputes de voisinage » puisque l’arrondissement ne punit pas les contrevenants, a-t-il dit. D’ailleurs, comme l’arrondissement « ne sait pas d’où vient la neige », toute amende serait très difficile à imposer, à moins de prendre un contrevenant sur le fait.