« Bip ! », « Bip ! », « Bip ! », « BAAAAP ! ». Le visage de Daniel Brosseau s’éclaire derrière le volant, rue Sherbrooke. L’huissier de justice, qui installe des sabots de Denver depuis leur instauration à Montréal en 1984, vient de dénicher le véhicule d’un mauvais payeur.

Des vérifications manuelles de plaques d’immatriculation jusqu’aux caméras automatiques actuelles, M. Brosseau a vu le métier se transformer sur quatre décennies. L’ampleur de l’opération est beaucoup plus grande aujourd’hui : si elle maintient ce rythme, la Ville aura collecté près de 2 millions en amendes d’ici la fin de 2022 grâce à la pose de plus de 3000 sabots. Une remontée après deux années pandémiques beaucoup moins payantes.

« Ils finissent toujours par payer. Qu’ils payent aujourd’hui ou qu’ils payent demain, ils vont payer, c’est sûr », a affirmé l’huissier quelques minutes avant d’installer son sabot, en quadrillant les rues du centre-ville. « Si on ne collecte pas avec les sabots, [les amendes] vont rester longtemps sur la tablette. »

Dans son coffre, huit sabots de Denver, certains remontant au début de sa carrière. Un sabot de Denver est une pince d’acier que l’on installe sur une roue de véhicule afin de l’immobiliser. Daniel Brosseau et ses collègues huissiers utilisent ces équipements pour saisir temporairement les véhicules des individus et entreprises qui doivent de l’argent à la Ville de Montréal pour des contraventions impayées.

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L’huissier de justice Daniel Brosseau installe des sabots de Denver depuis leur instauration à Montréal en 1984.

Cette fois, c’est une camionnette blanche appartenant à une entreprise à numéro qui sera « sabotée », comme disent les huissiers. Daniel Brosseau se stationne en double dans la rue Sherbrooke, à travers la circulation – aux grands maux, les grands moyens –, et emprisonne une roue du véhicule. Les automobilistes pressés passent à quelques pieds de lui.

C’est comme quand tu vas à la pêche. Une journée, tu vas pogner 20 poissons, l’autre journée, tu n’en pogneras pas un.

Daniel Brosseau, huissier de justice

L’huissier, dont la rémunération dépend entièrement de sa récolte, a ses secteurs de prédilection et ses habitués. Les caméras installées sur son coffre – capables de capter des milliers de plaques par jour – sont reliées à une base de données contenant l’immatriculation de 21 000 mauvais payeurs. Cette longue liste est mise à jour chaque semaine. « Le système est vraiment efficace. »

Au bout de 24 ou 48 heures d’immobilisation, l’huissier passe à l’étape suivante : le véhicule est remorqué jusqu’à la fourrière municipale, où il sera vendu au bout d’un mois pour rembourser la dette de son propriétaire envers la Ville de Montréal – et les frais de l’huissier.

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Les caméras installées sur le coffre de la voiture de Daniel Brosseau sont reliées à une base de données contenant l’immatriculation de 21 000 mauvais payeurs.

146 $ de plus sur la facture

Si vous constatez, en sortant du bureau ou de la maison, que votre auto a été équipée d’un sabot de Denver, pas de panique : sur paiement de votre dette envers la Ville, un huissier viendra libérer votre véhicule dans l’heure qui suit. Surtout, ne pas tenter de quitter les lieux avec le véhicule : une pointe d’acier percerait aussitôt le pneu et le sabot endommagerait la voiture. Les fiers-à-bras qui tentent de libérer eux-mêmes leur roue avec une pince coupante sont dénoncés à la police.

Contrairement à la croyance populaire, nul besoin d’accumuler des montagnes de contraventions impayées depuis des années pour recevoir la visite de M. Brosseau : une seule suffit. Et dans ces cas, les frais de « sabotage » de 146 $ – encaissé par l’huissier – risquent de faire gonfler singulièrement la facture.

Rien pour calmer le jeu quand un automobiliste agressif tombe sur un huissier en train de faire son travail.

Daniel Brosseau remarque que les automobilistes sont parfois insultés ou honteux de voir leur véhicule immobilisé par une grosse pince d’acier jaune, surtout devant des collègues ou des voisins. « Des fois, tu peux tomber sur du monde qui n'est pas trop coopératif, mais on finit toujours par s’entendre », a-t-il relaté.

Il a souvent été menacé, mais jamais agressé physiquement en faisant son travail. Et si les échanges tournent au vinaigre, les huissiers ont « une bonne coopération de la police ».

L’huissier Brosseau – qui a installé son premier sabot il y a 38 ans, mais a aussi travaillé ailleurs dans l’intervalle – travaille pour Charron Boissé Lévesque, Huissiers de justice, l’un des trois bureaux à avoir le contrat d’installation des sabots de Denver pour la Ville de Montréal.

Pour cette dernière, il s’agit d’un moyen de récupérer des sommes sur lesquelles elle devrait autrement faire une croix.

« Soulignons que la pose d’un sabot de Denver s’effectue uniquement lorsque l’ensemble des méthodes et des divers rappels administratifs et judiciaires s’avèrent infructueux », a souligné Hugo Bourgoin, relationniste média à la Ville de Montréal, par courriel. « Mentionnons, notamment, le rappel administratif, l’avis de jugement par défaut, l’avis de paiement et l’avis de non-paiement d’amende (qui entraîne le blocage des transactions à la SAAQ). »

En savoir plus
  • Installation de sabots de Denver à Montréal
    Année 2019 : 4162 poses de sabots ayant généré 1 139 639 $
    Année 2020 : 1831 poses de sabots ayant généré 1 829 055 $
    Année 2021 : 2635 poses de sabots ayant généré 1 578 219 $
    Source : Ville de Montréal