Le Plateau-Mont-Royal a déposé un avis de motion pour éviter que les enseignes de 70 de ses commerces finissent au dépotoir comme ça a failli arriver à celle d’Archambault Musique, sauvée in extremis.

«Il n’y a pas que le grand patrimoine qui marque l’histoire d’un quartier. Il y a aussi le patrimoine modeste, explique la conseillère Marie Plourde. On a des affiches magnifiques et on risquait de les perdre si on ne faisait rien.»

Quelles sont ces enseignes?

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L’Express, rue Saint-Denis.

La liste dressée par l’arrondissement comprend L’Express, rue Saint-Denis, le barbier Chez Ménick, rue Masson, Moishes, boulevard Saint-Laurent, le célèbre delicatessen Schwartz's, le non moins célèbre Cinéma L’Amour, Mont Royal Hot Dog, Aux Verres stérilisés, Le Rialto, Fairmount Bagel et son concurrent de la rue Saint-Viateur. Il y a aussi des enseignes peintes qui datent de l’époque où on annonçait des produits sur des immeubles.

La décision de les protéger a été prise à la suite du retrait de celle d’Archambault Musique, en novembre 2018. On se souviendra que la disparition de ce symbole montréalais avait causé tout un choc. En août, l’enseigne a retrouvé sa place sur la façade de l’immeuble, au coin des rues Sainte-Catherine et Berri, mais cela a fait réfléchir les élus du Plateau-Mont-Royal.

«À partir de ce moment-là, on a vu qu’il fallait trouver une façon de protéger les enseignes», explique Marie Plourde, qui a arpenté les rues de son quartier l’été dernier pour identifier celles qui ont marqué l’histoire du Plateau. 

La liste a été transmise à la division de l’urbanisme de l’arrondissement qui en a retenu 70. Mais les 70 ne seront pas toutes sauvées. Au final, le Plateau-Mont-Royal prévoit garantir la survie de 10 enseignes. 

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Schwartz's

Celle de Schwartz's ne finira sans doute jamais à la poubelle. Pas plus que celle de J. Omer Roy, une bijouterie familiale qui a pignon sur l’avenue du Mont-Royal Est, entre la rue Marquette et l’avenue Papineau. Le mois dernier, le Plateau-Mont-Royal a appris que ce commerce qui a eu 100 ans cette année allait fermer ses portes le 15 décembre. L’immeuble qui appartenait au propriétaire de la bijouterie a été vendu. 

«Il y avait péril en la demeure», indique Marie Plourde.

L'avis de motion déposé au conseil d’arrondissement, lundi, a pour effet d’empêcher le retrait des enseignes significatives d'ici l’adoption d’un règlement, dans quelques mois. 

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Cinéma L'Amour

La coopérative de travail Enclume qui œuvre à la mise en valeur des territoires prête main forte au Plateau pour évaluer la valeur patrimoniale de ces repères montréalais. Les résidants de l’arrondissement auront aussi leur mot à dire, promet Marie Plourde. 

La décision de protéger ces enseignes réjouit Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal. «C’est une très bonne idée, mais c’est sûr qu’il faut y aller avec discernement. Ce sont des documents de valeur historique, pas juste du vintage.» 

Le professeur de l’Université Concordia Matt Soar, qui a sauvé 25 enseignes montréalaises de la destruction, est encore plus enthousiaste. «C’est super excitant, lance-t-il. Cette décision arrive juste un peu tard; de trop nombreuses enseignes sont déjà disparues.» Grâce à M. Soar, toutefois, celles du restaurant Ben’s, du magasin Warshawm, du cinéma Paramount, de l’aéroport Mirabel, de la Taverne Monkland et de plusieurs autres commerces qui ont marqué l'histoire de Montréal sont conservées en lieu sûr. 

L’arrondissement de Ville-Marie étudie aussi la possibilité d’adopter un règlement pour protéger ses enseignes importantes.

CHEZ MÉNICK

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Domenico Perrazino, propriétaire depuis 60 ans du barbier Chez Ménick, rue Masson, n’est pas du même avis. «Ça n’a pas d’allure ! s’exclame-t-il. Ça va donner quoi ?» À 79 ans, M. Perrazino aimerait mieux qu’on lui rende hommage de son vivant plutôt qu'après la fermeture de son commerce. «Si quelqu’un achète la bâtisse et veut ouvrir une pâtisserie, il va faire quoi avec mon enseigne ? demande-t-il. Ça m’insulte !» 

LALONDE ET FRÈRES

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Construit en 1929, l'édifice H. Lalonde & Frères, situé au coin de l’avenue du Parc et de la rue Villeneuve, abrite la plus vieille maison de spécialistes de tapis au Canada. L’intérêt principal de cet immeuble conçu par les architectes Lapierre & Dumfries est qu'il n'a subi aucune modification depuis sa construction. Eddy Dikranian, qui a racheté l’entreprise de la famille Lalonde, approuve la décision de l’arrondissement. «C’est une bonne idée, mais on est encore là pour longtemps», mentionne-t-il.

WAXMAN

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De l'autre côté de la rue, Waxman est un des plus anciens établissements de haute couture montréalais, ouvert en 1927. Ce commerce, situé entre l’avenue Mont-Royal et la rue Villeneuve, se spécialise dans la location et la vente de smokings. Il compte aussi un salon de barbier et un bar à espresso. «On est ici pour encore longtemps, prévient Jake Wolf, petit-fils du fondateur. J’espère que mes enfants vont prendre la relève un jour.»

LE RIALTO

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Le Rialto, situé près de l’avenue Bernard, dans le Mile End, a été conçu en 1923 par l'architecte Joseph Raoul-Gariépy. Ezio Carosielli et Luisa Sassano en on fait l'acquisition en 2010 et lui ont redonné son lustre d’antan. M. Carosielli se réjouit de la décision du Plateau-Mont-Royal, mais rappelle que Le Rialto est classé immeuble patrimonial du Québec et cité comme immeuble patrimonial par la Ville de Montréal. «Même si on voulait, on ne pourrait pas enlever l'enseigne», affirme-t-il.