Une étude réalisée par l’un des principaux laboratoires climatiques du Canada affirme que les émissions de méthane provenant du secteur énergétique de l’Alberta sont sous-estimées de près de 50 %.

L’étude du laboratoire de recherche sur l’énergie et les émissions de l’Université Carleton indique également que le pétrole et le gaz produits dans la province émettent beaucoup plus de méthane pour l’énergie produite que dans d’autres instances comme la Colombie-Britannique.

Il s’agit d’une mesure qui constitue un avertissement pour l’industrie, a déclaré l’auteur principal Matthew Johnson.

« L’avenir est que votre capacité à vendre (du gaz) sur certains marchés sera basée sur l’intensité du méthane », a-t-il souligné.

Le laboratoire de M. Johnson, qui a publié son dernier article dans la revue « Communications Earth and Environment », a combiné plusieurs méthodes de mesure différentes du méthane, un gaz à effet de serre considéré comme environ 80 fois plus puissant que le dioxyde de carbone au cours des 20 premières années suivant sa libération.

Grâce à des méthodes publiées et saluées dans la littérature scientifique et désormais utilisées par le Programme des Nations unies pour l’environnement, l’équipe a mesuré les émissions au niveau de la surface, depuis un avion et à partir de données satellites. C’est la première fois que des méthodes dites « ascendantes » – qui dépendent de mesures et d’estimations au sol qui sont utilisées par l’industrie – sont combinées avec des méthodes « descendantes ».

L’équipe a examiné 3500 installations pétrolières et gazières différentes et 5600 puits.

Elle a conclu que les estimations officielles du gouvernement et de l’industrie concernant les émissions de méthane provenant des champs pétrolifères de l’Alberta sont 50 % trop faibles.

« C’est une tout autre image », a fait valoir M. Johnson.

En 2021, les émissions de méthane de l’Alberta étaient officiellement estimées à l’équivalent de 15 mégatonnes de dioxyde de carbone par an. Cela représente les émissions annuelles de trois millions de voitures, selon l’Agence américaine de protection de l’environnement.

Si l’article de M. Johnson est exact, l’équivalent exact des émissions de l’Alberta serait plus proche de 4,5 millions de voitures.

Le document conclut également que le méthane provient de sources très différentes de celles évoquées par le gouvernement et l’industrie. Les rejets des réservoirs représentent environ un quart de ces émissions, au lieu des 3 % indiqués par les sources officielles.

Savoir d’où vient le gaz est essentiel pour arrêter sa fuite, a déclaré M. Johnson.

Ottawa réévalue ses statistiques

Le chercheur a indiqué qu’Environnement et Changement climatique Canada réévaluait actuellement ses statistiques sur le méthane à la lumière des travaux de son laboratoire, qui a publié une série d’articles mettant en doute les chiffres officiels. Le laboratoire a conclu que les émissions de méthane sont également sous-estimées en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.

« Les estimations ascendantes sont erronées partout », a-t-il déclaré.

Lisa Baiton, présidente de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, a affirmé que son groupe examinait le document de l’Université Carleton.

« Il existe de multiples méthodologies pour estimer les émissions de méthane de l’industrie, notamment divers inventaires universitaires, provinciaux et nationaux, chacun avec ses propres hypothèses et forces », a-t-elle indiqué dans un courriel.

Renato Gandia, porte-parole de l’organisme de réglementation de l’énergie en Alberta, a déclaré que les estimations officielles reflètent les meilleures données disponibles.

« Le (régulateur) continue de chercher des moyens de travailler avec d’autres juridictions et opérateurs réglementés pour améliorer la qualité des données », a-t-il affirmé.

Mme Baiton a soutenu que l’industrie était en bonne voie pour réduire les émissions de méthane jusqu’à 45 % d’ici 2025. M. Gandia a déclaré que le gouvernement et l’organisme de réglementation cherchaient actuellement des moyens de réduire les émissions de méthane jusqu’à 80 %.

Mais M. Johnson affirme que ces objectifs ne signifient pas grand-chose puisque le chiffre de référence est probablement largement sous-estimé.

« Peut-être que l’Alberta a réduit ses émissions, peut-être que ce n’est pas le cas. Nous ne le saurons jamais parce que nous ne savons pas quelles étaient les émissions en 2012 », a-t-il expliqué.

Loin du compte

Le chiffre important, dit-il, est la quantité de méthane libérée pour chaque quantité d’énergie produite. Des juridictions telles que l’Union européenne et les États-Unis envisagent déjà d’imposer des limites à l’intensité du méthane sur les importations de gaz.

En moyenne, les producteurs de pétrole et de gaz de l’Alberta voient environ 1,7 % du méthane produit s’échapper dans l’atmosphère, selon M. Johnson. C’est plus élevé que la plupart des bassins américains et quatre fois le taux d’émissions de méthane en Colombie-Britannique.

« Cela n’a pas d’importance si l’Alberta a baissé de 45 %, a déclaré M. Johnson. Le véritable objectif est de 0,2 % (fuite de méthane) et personne n’est là. »

Faire mieux est possible, dit-il. L’étude a comparé des sites individuels anonymes et a révélé que certains avaient seulement un dixième de l’intensité en méthane d’autres sites similaires.

« Certains opérateurs le font, a déclaré M. Johnson. Cela montre que cela peut être fait. »

Ottawa finalise la réglementation sur les émissions de méthane. La réponse du secteur pétrolier et gazier de l’Alberta – responsable d’environ un quart de tout le méthane rejeté au Canada – sera cruciale pour respecter les engagements du pays en matière de changements climatiques.

Une mesure précise des émissions de méthane et l’identification de leurs sources sont essentielles pour les maintenir hors de l’atmosphère et prévenir leur contribution aux changements climatiques, a déclaré M. Johnson.

« Il y a ici toutes sortes de données que le gouvernement peut exploiter, a-t-il fait valoir. (Les objectifs d’émissions) pour 2030 sont tout à fait réalisables, mais seulement si nous nous engageons à mesurer et à suivre nos progrès. »