De l’examen de la vue au choix de montures, rendre l’optométrie plus écoresponsable nécessite une foule de petits gestes, montre l’expérience de la clinique montréalaise Uvée. Pour sa deuxième succursale inaugurée mardi dans le quartier Villeray, l’entreprise a ajouté un volet social à son approche de développement durable.

Des lunettes sur tous les murs, des nettoyants, gouttes et étuis sous le comptoir, des salles d’examen : à première vue, le commerce de la rue Jarry ressemble à n’importe quelle clinique d’optométrie. C’est en y regardant de plus près qu’on voit la différence.

Pour nettoyer les appareils entre chaque patient, l’optométriste Alex-Anne Harvey n’utilise pas de tampons jetables, mais de l’alcool à désinfecter et des lingettes taillées dans d’anciennes serviettes. Lorsque la jeune femme et ses deux associés ont ouvert leur première clinique Uvée sur l’avenue Laurier Est, en 2019, c’est sa mère qui a cousu les premières lingettes. Depuis, une employée a pris le relais. Ce sont aussi une employée et un associé qui assurent le lavage chez eux.

« On est vraiment chanceux, notre équipe a plein de talents, donc on est capables de quasiment tout faire à l’interne », s’enthousiasme la Dre Harvey.

À moins qu’un client ne demande une copie imprimée, tout se fait sans papier. Même les prix sont écrits au feutre directement sur les montures en démonstration. Sur les présentoirs, des affichettes résument les engagements des marques.

« Ça, c’est du plastique recyclé, ça vient d’Espagne : ils vont racheter les filets des pêcheurs pour les transformer en granules qu’ils vont faire fondre », explique l’opticienne Véronique Rhéaume en montrant une monture espagnole Sea2see.

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Des montures fabriquées avec des retailles de bois et du plastique recyclé.

De nombreuses montures sont fabriquées avec du bioacétate, un matériau à base de pulpe de coton ou de bois lié avec des agents sans produits pétroliers. D’autres intègrent du métal recyclé ou des retailles de bois.

Des produits peu durables écartés

Des produits ont cependant été écartés au fil des ans après s’être révélés peu durables. Des montures en bois trop rigides dont les charnières cassaient, et d’autres à base de plastique récupéré des océans qui s’écaillaient ont ainsi disparu des présentoirs.

Au-delà des matériaux utilisés, nombre de fournisseurs s’impliquent dans diverses causes (planter des arbres, nettoyer des berges, contribuer à des causes humanitaires, etc.).

Uvée a rehaussé la barre dans la dernière année, dans le cadre d’une démarche de responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Alex-Anne et Véronique ont créé un questionnaire basé sur les objectifs de développement durable de l’ONU, auquel sont soumis tous les fournisseurs.

« Il n’y a pas de solution parfaite, et on ne prétend pas non plus qu’on est 100 % zéro déchet et qu’on vend des montures extraordinaires. Elles ont toutes leurs mauvais côtés, mais ce sont toutes des entreprises qui font un effort, qui ont pris le temps de réfléchir à leur impact et à comment elles peuvent faire les choses un peu mieux », résume la Dre Harvey, qui veut à tout prix éviter de faire de l’écoblanchiment.

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L’optométriste Alex-Anne Harvey, cofondatrice de la clinique Uvée et du projet Vision Solidaire.

Quand on doit choisir un produit, par exemple les gouttes, on regarde s’il y a une entreprise québécoise qui utilise des produits plus naturels. On n’est pas capable de dire qu’on est 100 % éco, mais au moins, on se pose la question.

Alex-Anne Harvey, optométriste

Les gouttes, par exemple, proviennent d’un fournisseur ayant son siège social au Québec. Et le nettoyant à lunettes biodégradable est acheté en format de quatre litres, pour offrir le remplissage aux clients.

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Le nettoyant à lunettes biodégradable, aussi vendu en format de 4 litres

Et l’industrie progresse. Le suremballage de plastique qui protégeait les montures a cédé le pas aux pochettes de papier ou de cellulose biodégradables. Les coquilles de plastique qui font office de lentilles dans les modèles en démonstration ont été remplacées par des coquilles biodégradables, ou supprimées.

Dimension sociale

Consciente que l’implication sociale « fait aussi partie du développement durable », Uvée a profité de son arrivée dans Villeray pour ajouter cette corde à son arc.

En collaboration avec Alexandre Boucher Bonneau, un citoyen très impliqué dans le quartier voisin de Saint-Michel, la Dre Harvey a développé une initiative pour élargir l’accès aux examens de la vue.

Leur projet pilote vise à offrir un examen et un ticket de transport en commun à 75 résidants de Saint-Michel dirigés vers la clinique par des organismes.

La Dre Harvey a été mise en contact avec M. Boucher Bonneau durant sa maîtrise en santé publique. Elle souhaite développer un modèle qui ajoute une dimension sociale à l’optométrie en pratique privée, mais ne dépende pas du bénévolat.

« Parce que moi, j’ai beau dire que je vais faire 75 examens de la vue gratuits, dès que j’arrête, il n’y a plus personne qui le fait. »

Le projet Vision Solidaire a donc lancé une campagne de sociofinancement avec un objectif de 6000 $.

Consultez le site web de la campagne de sociofinancement de Vision Solidaire

« On espère dépasser l’objectif et avoir un surplus d’argent pour permettre à ces gens d’avoir des lunettes. Sinon, le Carrefour populaire de Saint-Michel et moi allons faire le référencement au Bonhomme à lunettes, qui pourra leur en offrir une paire à très, très bas coût », précise M. Boucher Bonneau.

Lisez la chronique « Les lunettes ne devraient pas coûter le même prix qu’un iPhone »

Uvée offrira un rabais aux patients, mais « on ne voulait pas non plus les forcer à prendre leurs lunettes ici », souligne l’optométriste, pour qui l’intérêt de l’examen va bien au-delà des lunettes. « Il y a beaucoup de problèmes de santé oculaire, comme le glaucome, qu’on peut dépister dans un examen. C’est une perte de vision qu’on peut éviter. »

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