La seule entreprise québécoise de lavage de bouteilles de bière de microbrasseries met la clé sous la porte, a appris La Presse, un coup dur pour les petits brasseurs que plusieurs observateurs attribuent à un désintérêt du gouvernement pour les contenants de boisson réutilisables.

Ce qu’il faut savoir

  • La seule usine québécoise de lavage de bouteilles de bière de microbrasseries a déclaré faillite à la mi-octobre, a appris La Presse.
  • L’usine qui lave les bouteilles des grands brasseurs demeure en activité, mais ne pourra probablement pas laver les bouteilles des microbrasseries.
  • Divers observateurs accusent le gouvernement d’avoir abandonné le système de contenants à remplissage multiple, pourtant plus écologiques que les contenants à remplissage unique.

« Le Maître emballage durable » a déposé le 17 octobre le bilan des activités de son usine de Québec, qui effectuait le lavage des bouteilles de toutes les microbrasseries de la province.

« Ce qui nous préoccupe, c’est de pouvoir continuer de faire laver les contenants à remplissage multiple », a déclaré à La Presse la directrice générale de l’Association des microbrasseries du Québec (AMBQ), Marie-Eve Myrand, qui évoque le possible rachat de l’équipement.

Aucune microbrasserie n’utilise seulement des bouteilles, ce qui atténuera les effets de la fermeture, précise-t-elle, déplorant que la situation pousse une fois de plus les petits brasseurs vers les cannettes d’aluminium.

On va passer d’un contenant à remplissage multiple, qui a une [faible] empreinte écologique, à un système de contenant à remplissage unique, qui a une empreinte moins positive.

Marie-Eve Myrand, directrice générale de l’AMBQ

Les contenants à remplissage multiple ont des impacts environnementaux « significativement inférieurs » aux contenants à remplissage unique, peu importe la matière, selon une analyse du Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services du Québec (CIRAIG).

Déclin constant

L’usine de Maître emballage durable ne lavait plus qu’un million et demi de bouteilles par année, contre quatre millions « dans les belles années », a indiqué à La Presse son fondateur, Noël Gauthier, qui avait lancé l’entreprise en 2016.

« Ça s’en allait encore en descendant pour 2024 », regrette-t-il, précisant que son autre usine, qui est une entité juridique distincte située à Saint-Bruno-de-Montarville, où sont lavées les bouteilles des grands brasseurs, poursuit ses activités.

Noël Gauthier aimerait pouvoir y laver les bouteilles des microbrasseries, mais il est peu probable que cela soit possible, reconnaît-il, expliquant que les microbrasseurs n’ont pas un volume de bouteilles suffisant pour cette usine ultramoderne entrée en service en 2021, qui lave 32 000 bouteilles à l’heure, et que bon nombre d’entre eux utilisent des étiquettes autocollantes plutôt que de la colle froide comme les grands brasseurs.

À Québec, on le faisait, avec des méthodes de trempage plus lentes, en lavant les bouteilles deux fois, mais c’est ça qui a causé notre perte.

Noël Gauthier

Désintérêt gouvernemental

Le gouvernement québécois est en partie responsable de la situation, accuse l’AMBQ, qui lui reproche de favoriser les contenants à remplissage unique (CRU) au détriment des contenants à remplissage multiple (CRM).

« C’est timide, s’il y a une intention de maintenir le CRM, car les bâtons dans les roues sont multiples, peste Marie-Eve Myrand. Ça nous oblige à considérer le CRU comme une option quand ce n’est pas notre souhait. »

À cette fermeture s’ajoute une autre tuile tombée sur les microbrasseurs dans les derniers jours : les détaillants leur factureront désormais des « frais de manutention » de 2,5 ¢ par contenant, un impact évalué à 1 million de dollars par année pour le secteur.

« Les microbrasseurs ne sont plus capables d’entrer des bouteilles [chez les détaillants], ils sont poussés à faire de la canne », constate lui aussi Noël Gauthier, qui estime que l’élargissement de la consigne sur les contenants de boisson qui entrera en vigueur mercredi est une occasion ratée de favoriser les CRM.

« Ceux qui ont pris le contrôle [du système de la consigne], ce sont les anticonsigne, dit-il. Eux, ils ne veulent pas que ça aille bien ! »

Ces critiques font écho à celles d’organisations environnementales, qui sonnent l’alarme sur le déclin des bouteilles de bière, dont le taux d’utilisation est passé de 83 % en 2009 à 15 % en 2022, déplore Amélie Côté, analyste en réduction à la source d’Équiterre.

Voilà qu’une tuile de plus tombe sur ces PME qui ont fait ce choix réellement bénéfique pour l’environnement. Qu’est-ce que le ministre va faire pour soutenir les microbrasseurs qui contribuent à la vitalité économique locale ?

Amélie Côté, analyste en réduction à la source d’Équiterre

Le plafond de contenants à usage unique imposé aux brasseurs de bière a d’ailleurs été abandonné par la Société québécoise de récupération et de recyclage (Recyc-Québec) en 2019, avait révélé La Presse à l’époque.

« On a abandonné le développement du système de contenant à remplissage multiple, on l’a laissé mourir », estime aussi Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.

« Ce n’est pas étonnant que des entreprises qui lavent des bouteilles à remplissage multiple en arrachent », juge-t-il, estimant que la situation ternit l’élargissement de la consigne de mercredi, qui aurait pourtant dû favoriser ce type de contenants.

Il n’a pas été possible d’obtenir une réaction du cabinet du ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, jeudi soir.

L’usine de Maître emballage durable de Québec a des actifs d’une valeur de 333 000 $ et des dettes de 1,64 million ; ses créanciers les plus importants sont la Financière agricole du Canada et la Banque Royale du Canada, selon le bilan de faillite dressé par le syndic en insolvabilité Raymond Chabot, qui gère la liquidation des actifs de l’entreprise.

En savoir plus
  • 6
    Nombre d’utilisations d’un contenant à remplissage multiple après lequel il devient plus écologique qu’un contenant à remplissage unique
    source : Centre interuniversitaire de recherche sur le cycle de vie des produits, procédés et services du Québec (CIRAIG).