Le gouvernement Legault verse des milliards de dollars en aide financière aux municipalités québécoises pour les aider à réparer leurs réseaux de distribution d’eau et d’égouts, mais il ne les oblige plus à corriger les raccordements défectueux causant des déversements d’eaux usées dans les cours d’eau, un problème qui devait pourtant être réglé en… 2007.

Ce qu’il faut savoir

  • Québec n’exige plus des municipalités qu’elles corrigent les branchements d’égouts sanitaires défectueux en échange d’une aide financière pour la réfection de leurs infrastructures d’eaux usées.
  • Même lorsque cette condition était exigée, Québec ne la faisait pas respecter, accuse la Fondation Rivières.
  • Le gouvernement s’était engagé en 2002 à corriger les branchements d’égouts sanitaires défectueux avant 2007.

Québec renonce à exiger des municipalités québécoises qu’elles corrigent les branchements d’égouts sanitaires défectueux en échange d’une aide financière pour la réfection de leurs infrastructures d’eaux usées.

L’obligation d’éliminer les « raccordements inversés », soit le rejet des eaux usées d’un bâtiment dans l’égout pluvial d’une municipalité plutôt que dans son égout sanitaire, a été retirée de la nouvelle mouture du Programme d’infrastructures municipales d’eau (PRIMEAU), lancée en avril.

« C’est irresponsable ! », s’exclame Alain Saladzius, ingénieur en traitement des eaux et président de la Fondation Rivières, qui a découvert la modification.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Saladzius, président de la Fondation Rivières

Les raccordements inversés, aussi appelés raccordements croisés, sont un « fléau » qui pollue les cours d’eau à la grandeur du Québec en y envoyant directement déjections et autres matières transportées par les égouts, en violation de la Loi sur la qualité de l’environnement, déplore-t-il.

« Chaque fois qu’on met les pieds à l’eau, on en trouve », raconte celui dont l’organisation est souvent mandatée par des municipalités pour déterminer les sources de contamination d’un cours d’eau sur leur territoire.

C’est une source majeure de pollution. […] Ça empêche de récupérer les usages [des cours d’eau], entre autres la baignade.

Alain Saladzius, président de la Fondation Rivières

Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), qui gère le PRIMEAU et son enveloppe budgétaire de 2,4 milliards de dollars, indique avoir retiré l’exigence de réparer les raccordements inversés parce que ceux-ci ne relèvent pas de la responsabilité des municipalités.

« Les raccordements inversés se situent, la plupart du temps, sur les propriétés privées des citoyens et ne sont pas admissibles aux programmes [de subvention] », a déclaré Sébastien Gariépy, porte-parole du Ministère.

« Ce n’est pas vrai ! », rétorque Alain Saladzius.

« Les raccordements sont faits sur le terrain municipal, sous la rue », dit-il, ajoutant que les propriétaires d’immeubles, même s’ils sont responsables des branchements non conformes, ignorent généralement que leur égout est mal raccordé.

« La municipalité qui n’a pas fait l’inspection a une part de responsabilité aussi », ajoute M. Saladzius.

Auparavant exigé… mais pas contrôlé

La mouture précédente du PRIMEAU et les programmes antérieurs de financement des infrastructures municipales d’eau exigeaient que les municipalités bénéficiaires se dotent d’un plan d’élimination des raccordements inversés et l’appliquent.

Or, le Ministère ne vérifiait pas si les municipalités à qui il versait des fonds apportaient bel et bien les corrections requises, accuse la Fondation Rivières.

« Quand j’étais au ministère des Affaires municipales, autour de 2010, j’ai signalé cette problématique à la direction », raconte Alain Saladzius, expliquant qu’il n’y avait pas assez de ressources pour s’assurer que les municipalités remplissaient leurs engagements.

« On m’a dit qu’on ne vérifierait pas le respect de la condition », dit-il.

La Fondation Rivières avait adressé une lettre à la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, en août 2021, pour lui proposer des pistes de solution, mais dit n’avoir reçu aucune réponse.

L’organisation a ensuite déposé une plainte à la commissaire au développement durable du Québec, qui est l’adjointe de la vérificatrice générale – l’état d’avancement du dossier est inconnu, le processus étant confidentiel.

Le cabinet de la ministre Laforest affirme que le seul dépôt d’un plan d’action « était suffisant pour répondre à l’exigence » du programme, a indiqué son attachée de presse Élodie Masson.

Il est pourtant écrit noir sur blanc dans les protocoles d’entente signés par le Ministère et les municipalités ayant reçu du financement par l’entremise de l’ancien PRIMEAU que « le Bénéficiaire [doit démontrer] qu’il a conçu et mis en application un programme d’élimination des raccordements croisés à l’égout ».

Objectif… 2007

Le gouvernement québécois s’était engagé à éliminer avant 2007 les raccordements inversés et autres branchements illicites afin de mettre un terme aux rejets d’eaux usées par temps sec – excluant donc les surverses qui surviennent lors de fortes pluies.

Cet engagement figurait dans la politique nationale de l’eau adoptée en 2002 sous le gouvernement péquiste de Bernard Landry ; André Boisclair était alors ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole, à l’Environnement et à l’Eau.

« Vingt et un ans plus tard, on a régressé ! », s’insurge Alain Saladzius, qui dit découvrir de plus en plus de cas.

Pourtant, la détection des raccordements inversés est simple, rappelle-t-il. Leur correction, elle, est cependant coûteuse en raison de l’excavation nécessaire.

« Les municipalités n’osent pas confronter les propriétaires, les forcer à faire des travaux qui peuvent coûter des milliers de dollars », affirme M. Saladzius.

C’est pourquoi la Fondation Rivières propose que ces travaux soient effectués par les villes – quitte à ce qu’elles refilent ensuite la facture aux citoyens fautifs – et qu’ils soient admissibles à des subventions, notamment par l’entremise du Programme de la taxe sur l’essence et de la contribution du Québec, qui finance des travaux d’infrastructures municipales d’eau.

Il n’est pas non plus trop tard pour rétablir l’exigence de corriger les raccordements inversés pour obtenir des fonds provenant du PRIMEAU, ajoute Alain Saladzius.

Un enjeu qui coûte des millions de dollars

Les raccordements d’égouts inversés coûtent des millions de dollars aux contribuables québécois, faute d’être corrigés. La Ville de Montréal a été forcée par les tribunaux de canaliser le ruisseau Meadowbrook, contaminé notamment par des raccordements inversés dans les villes de Côte-Saint-Luc et de Montréal-Ouest, qui ont pourtant reçu des fonds de Québec par l’entremise du PRIMEAU et de programmes antérieurs. « Ça a coûté des millions à Montréal parce que deux villes n’ont pas fait leurs devoirs », déplore Alain Saladzius, de la Fondation Rivières. Il cite aussi l’exemple de Repentigny, aux prises avec des raccordements inversés qui empêchent la baignade dans la rivière L’Assomption, selon une récente étude de son organisation, et dont la correction risque d’être coûteuse.

En savoir plus
  • 10 ans
    Durée prévue du Programme d’infrastructures municipales d’eau, doté d’une enveloppe de 2,4 milliards de dollars
    Source : MAMH