Laval accordera ce mardi un contrat à Beauregard Environnement, entreprise inscrite sur la liste noire de Montréal en raison de déversements de boues contaminées sur des terres agricoles. Le maire Stéphane Boyer, qui déplore ne pouvoir empêcher l’entreprise bannie dans la métropole de faire des affaires chez lui, réclame un changement à la loi pour unifier les listes noires des villes.

Ce qu’il faut savoir

  • Beauregard Environnement a été bannie en octobre 2020 pour au moins trois ans à Montréal, en raison de déversements illégaux.
  • Laval accordera ce mardi un contrat à la même entreprise, après avoir tenté de l’éviter.
  • Le maire Stéphane Boyer réclame que Québec change la loi pour permettre aux villes d’unifier leurs listes noires à l’avenir.

« On constate qu’il y a un trou, ou du moins une faille, dans la loi. Il y a beaucoup de chemin et de ménage qui a été fait depuis la commission Charbonneau, mais on voit aujourd’hui qu’il y a encore des améliorations qui pourraient être possibles », a lancé le maire Boyer en entrevue.

Après avoir tenté de l’écarter le printemps dernier, son administration sera « contrainte » mardi d’accorder un contrat d’environ 750 000 $ à Beauregard Environnement pour le nettoyage de puisards d’égouts, l’entreprise ayant remporté l’appel d’offres en tant que plus bas soumissionnaire conforme. « On ne peut pas légalement ne pas lui donner le contrat. On va aller de l’avant, en s’assurant néanmoins que les boues contaminées soient amenées à nos usines d’épuration », soutient l’élu.

Dès l’automne 2019, La Presse avait révélé que pendant des années, les boues contaminées que l’entreprise récupérait étaient épandues clandestinement sur une terre agricole de Mirabel.

Selon les termes des contrats, les boues devaient alors être acheminées par la route sur 90 km jusqu’à un site d’élimination situé à Lefaivre, en Ontario. Or, dans les faits, les camions ne parcouraient que 25 km, puis s’engageaient sur le chemin Laurin, à Mirabel, ni vus ni connus. Ils reculaient ensuite sur la terre agricole du producteur Pascal Pesant, puis vidaient le chargement. Ce manège se répétait plusieurs fois par jour.

Lisez l’article « Liste noire des contrats publics : l’ancien roi des égouts banni de Montréal »

Après une enquête du Bureau de l’inspecteur général (BIG), Beauregard Environnement a été bannie en octobre 2020 pour au moins trois ans à Montréal. L’agriculteur Pascal Pesant, qui acceptait le transport sur sa terre des boues souillées, l’a été pour cinq ans. L’entreprise avait tenté sans succès de contester devant les tribunaux son inscription sur la liste noire, peu après.

Un cadre juridique à changer

Depuis 2020, ce n’est pas la première fois qu’une ville doit faire affaire avec Beauregard Environnement. À Saint-Lambert et à Longueuil, notamment, un contrat similaire de nettoyage des puisards avait suscité le même genre de malaise l’an dernier chez certains élus, mais le contrat avait tout de même été adopté.

Selon Stéphane Boyer, les procédés légaux au Québec sont insuffisants pour contrecarrer ce genre de situation. Le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH) a d’ailleurs été informé de la situation, la semaine dernière.

« En ce moment, seule l’Autorité des marchés publics (AMP) peut bannir une entreprise partout au Québec, avec le Registre des entreprises non admissibles (RENA). Après, chaque ville peut avoir une liste noire, mais elles sont toutes indépendantes. Autrement dit, les villes ne peuvent pas bannir une entreprise parce qu’elle a été bannie ailleurs. C’est comme si les vases ne se parlent pas », illustre-t-il.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le maire de Laval, Stéphane Boyer

Pour inverser la tendance, il faudrait essentiellement « corriger certains articles » de deux cadres légaux, explique l’avocate à la Ville de Laval MÉlizabeth Ferland. Selon elle, il s’agirait de revoir l’article 21.4 de la Loi sur les contrats des organismes publics, qui indique que seule l’AMP peut placer une entreprise sur le RENA, puis d’autoriser les villes à ajouter des entreprises à ce registre par la Loi sur les cités et villes.

Si on veut s’assurer de bien résoudre ce trou juridique, ça serait l’idéal de faire les deux en même temps. Ça pourrait se faire dans le cadre d’un règlement omnibus, par exemple.

MÉlizabeth Ferland, avocate à la Ville de Laval

« Il y a moyen que ça se fasse vite et sans trop d’embûches », poursuit-elle. « Ce qu’on demande à Québec, c’est de corriger ce qui nous semble être un imbroglio dans la loi, pour qu’aucune autre ville au Québec ne soit dans la même situation », affirme de son côté M. Boyer.

Québec encore en évaluation

Appelé à réagir, le cabinet de la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a indiqué lundi qu’il réservera ses commentaires tant que la Ville de Laval n’a pas formulé une demande officielle auprès du gouvernement et octroyé le contrat, le cas échéant. Au gouvernement, on fait prudemment valoir que Laval a d’abord la responsabilité de surveiller les contrats qu’elle octroie, avec le Bureau d’intégrité et d’éthique de Laval – Terrebonne (BIELT). Pour le reste, soutient Québec, il faut laisser l’AMP faire son travail de surveillance des contrats publics.

Plus récemment, en mai 2022, la Régie du bâtiment avait annulé la licence d’entrepreneur en construction de Beauregard Environnement, en soulignant que Michel Chalifoux y était encore impliqué, même si c’est sa conjointe Dany Fréchette qui la dirigeait désormais officiellement. « Nous sommes en présence d’un individu, Michel Chalifoux, qui ne respecte pas des lois, des règlements et des normes, et ce, à de multiples reprises au cours des ans et jusqu’à tout récemment », écrivait le régisseur Gilles Mignault.

« Il s’agit d’une personne qui privilégie ses intérêts privés au détriment de l’intérêt public ; une personne irrespectueuse et profondément improbe. Son stratagème de se retirer de Beauregard, du moins en apparence, est grossier et dénote un manque de respect de sa part à l’endroit de nos institutions démocratiques en contournant à son avantage les mesures mises en place », poursuivait le régisseur.

Avec Vincent Larouche, La Presse

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    C’est le nombre d’entreprises qui se retrouvent actuellement sur le RENA, soit parce qu’elles ont été déclarées coupables d’une infraction à la Loi sur les contrats des organismes publics ou parce qu’elles ne satisfont pas aux « exigences d’intégrité » de l’AMP. L’organisme vérifie systématiquement tous les contrats de service surpassant 1 million et tous les contrats de construction allant au-delà de 5 millions.
    source : AUTORITÉ DES MARCHÉS PUBLICS