Confrontée à sa pire sécheresse depuis des décennies, l’Espagne bat des records de chaleur ce printemps. Les agriculteurs s’attendent à de lourdes pertes et des restrictions d’eau ont été décrétées dans plusieurs régions du pays déjà durement touché par les changements climatiques.

Il fera si chaud que ça ?

L’Agence météorologique espagnole (AEMET) prévoit une vague de chaleur cette semaine alors que certaines régions connaissent déjà un printemps anormalement chaud et sec. Selon l’AEMET, les températures dépasseront les 30 degrés ce mardi et ce mercredi dans une grande partie du sud du pays. On s’attend même à ce que les températures atteignent 35 degrés en Andalousie et dans les régions de Valence et de Murcie, dans le sud-est du pays. Le mercure grimpera encore et pourrait pointer à 40 degrés dans la vallée du Guadalquivir, en Andalousie, jeudi et vendredi.

C’est normal qu’il fasse chaud. C’est quand même l’Espagne, non ?

En plein été, vous auriez raison de le signaler, mais nous ne sommes qu’en avril, rappelez-vous. Selon l’AEMET, ces températures seront supérieures de 6 à 10 degrés aux normales de saison. Dans certains secteurs, elles seront de 15 à 20 degrés plus élevées que les températures habituelles à ce temps-ci de l’année.

Mais des records de chaleur, ça arrive fréquemment, pourquoi en faire un plat ?

Peut-être sommes-nous en train de nous habituer à ce qui devient en quelque sorte la nouvelle normalité. Une analyse publiée dimanche par le site spécialisé Carbon Brief1 montre qu’au cours des 10 dernières années, 40 % de la population mondiale a été touchée par des records de température historiques. « L’analyse montre que le nombre de personnes ayant connu des épisodes de chaleur record a augmenté de façon spectaculaire au cours des trois dernières décennies », a écrit l’auteur du texte, le climatologue américain Zeke Hausfather.

PHOTO JORGE GUERRERO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des touristes se reposent à l’ombre lundi alors qu’une vague de chaleur touche la ville de Séville.

Oh ! Ça fait beaucoup de monde, en effet. Il faut avouer qu’en analysant la situation d’un point de vue global, la perspective change un peu…

Un peu, vous dites ! C’est particulièrement frappant en Europe de l’Ouest, où presque tous les pays ont connu des records de chaleur, et ce, au cours des quatre dernières années, rappelle Carbon Brief. Le Royaume-Uni, la France, la Belgique, l’Italie, le Portugal et évidemment l’Espagne ont été durement touchés par des vagues de chaleur historiques.

Mais bon, il va faire chaud quelques jours et ça va se replacer, non ?

Ce n’est pas aussi simple. Certaines régions comme la Catalogne font face à leur pire sécheresse depuis des décennies. « Nous sommes dans un moment difficile sur le plan hydrologique », a reconnu la semaine dernière le ministre de l’Agriculture de l’Espagne, Luis Planas, soulignant que le manque chronique de précipitations des dernières années avait cruellement affecté les nappes phréatiques et les réservoirs espagnols. « L’intensité de cette sécheresse est terrible » et entraîne une situation « chaotique » avec de lourdes pertes à prévoir pour les cultures de céréales et d’oléagineux, a indiqué l’association agricole Asaja. Selon le principal syndicat agricole au pays, le COAG, 60 % des terres agricoles espagnoles sont « asphyxiées » par le manque de précipitations.

Oups. Il n’est pas seulement question de trouver un endroit au frais pour quelques jours, si je comprends bien…

Vous avez bien compris, en effet. Voici un exemple parmi d’autres. Le 21 avril dernier, les autorités ont fermé les vannes du canal d’irrigation d’Urgell, en Catalogne. Celui-ci permet d’irriguer 50 000 hectares de champs et de vergers. « Cela signifie que nous allons devoir sacrifier 9000 hectares de luzerne et que nous ne pourrons pas semer les 7000 hectares de maïs prévus. Nous avons de l’eau pour arroser au goutte-à-goutte les arbres fruitiers, pommiers et poiriers principalement, afin qu’ils ne meurent pas. Il faut espérer que cela suffira », a déclaré au quotidien Le Monde le président de la Communauté d’irrigants du canal d’Urgell, Amadeu Ros Farré.

PHOTO EMILIO MORENATTI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Réservoir asséché de Sau, au nord de Barcelone, pris en photo en mars dernier

À ce que je vois, beaucoup de gens sont inquiets en Espagne…

C’est le moins qu’on puisse dire. Les producteurs de vin comme Patricio Brongo sont aussi du nombre. Ce Québécois qui vit dans un petit village situé à une heure de route de la ville de Bilbao depuis 10 ans indique que « l’année dernière, [la sécheresse] a été particulièrement stressante pour les vignes ». « Tout le monde est un petit peu inquiet dans le milieu. S’il n’y a pas de pluie en mai et qu’il continue de faire chaud comme ça, ça va être problématique », indique-t-il. Depuis son arrivée au pays, il dit d’ailleurs avoir observé qu’il y a moins de pluie et que les températures sont de plus en plus élevées.

Au moins les humains ne sont pas privés d’eau…

Ça dépend de ce que vous entendez par « privés d’eau ». En Catalogne, les habitants sont limités à 230 litres d’eau par jour depuis le 28 février. À titre de comparaison, les Québécois utilisaient en moyenne 521 litres d’eau par jour en 2020. Selon le directeur de l’Agence catalane de l’eau, Samuel Reyes, s’il ne pleut pas suffisamment dans les prochains mois, il faudra peut-être activer la « phase d’urgence » qui prévoit des coupures d’eau en septembre prochain.

Sources : Agence France-Presse, Le Monde, Carbon Brief

1. Consultez l’analyse de Carbon Brief (en anglais)
En savoir plus
  • 75 %
    Superficie du territoire de l’Espagne qui est à risque de désertification d’ici la fin du siècle
    Source : ONU
    3,5 millions
    Selon le principal syndicat agricole en Espagne, plus de 3,5 millions d’hectares ont déjà subi des dommages irréversibles.
    Source : COAG